« L’ARMEE D’ARMISTICE ».
« Il faut cesser le combat ». Après cette malencontreuse déclaration, le 17 juin 1940, du maréchal Pétain (au gouvernement depuis le 18 mai précédent et nommé Président du Conseil le 16 juin), Hitler pouvait rayer, enterrer, l’armée française en déroute. Cette sanction était crainte par les responsables français qui, le 22 suivant, demandèrent l’armistice en redoutant des conditions draconiennes.
Aussi, est-ce avec soulagement que le général Huntzinger, négociateur nommé par Weygand, à la lecture du diktat allemand, imposé et non discutable, constata qu’il ne contenait aucune allusion blessante, ni contraire, à l’honneur de la France. En plus, y était stipulé que la flotte serait neutralisée, mais resterait sous les ordres de ses amiraux ; qu’une armée stationnerait en zone non occupée, chargée d’y maintenir l’ordre ; ce qui restait de l’armée de l’air restait en l’état ; pas d’occupation de la rive gauche du Rhône, de la Corse, de Tunis et de Djibouti (comme le demandaient les Italiens !).
Cette armée « concédée » était une aubaine pour beaucoup d’officiers, non prisonniers, qui y décelaient la continuité de leur carrière ; pour les responsables politiques, c’était l’espoir de neutraliser les dangers latents d’une nouvelle « Commune » dont les ingrédients étaient palpables, dans cette « zone libre » en plein chaos, après la honte de la débandade de l’Armée, une défaite tétanisante et une surpopulation avec l’afflux de réfugiés exténués et outrés des violences subies. Cette Armée de l’Armistice serait donc le garant nécessaire aux institutions légales (mais néanmoins chahutées !) du gouvernement pétainiste installé à Vichy : Pétain et Weygand, à cette époque, étant considérés comme les sauveurs de la France !
Weygand, nouveau commandant en chef, Baudouin, Reynaud et Pétain, vice-président du conseil.
Hitler avait habilement prémédité sa « clémence ». Celle-ci était destinée à inciter les Français à ne pas résister davantage ; à lutter et à dompter toute rébellion ; à assurer l’ordre, la police et la collaboration en zone libre. Il avait astucieusement gardé un accès direct « zone occupée-Espagne »(grâce à « son copain » Franco) et ainsi conservé la surveillance de la totalité des accès à l’Atlantique.
« Aucune Nation n’existe sans une armée, si petite soit-elle » (je ne me rappelle pas quel général a dit cela) : et c’est bien vrai que le talent militaire d’un pays est essentiel pour sa défense, son indépendance, voire son existence. L’impéritie manifeste de trop d’officiers supérieurs qui commandaient en 1939 confirme, s’il en est besoin, la véracité de cette assertion.
La volonté du Führer de favoriser l’implantation de forces françaises sur le territoire non occupé découlait du besoin de conserver les siennes pour envahir l’Angleterre, ce qu’il envisageait de concrétiser en quelques mois suivants… Il avait, heureusement, « loupé le coche » en ne profitant pas de la suprématie de ses armées lors du ré-embarquement des Tommies à Dunkerque et, plus tard, en faisant confiance pour ce faire, au maréchal Goering, son dauphin incapable et prétentieux.
Comme en demandant l’armistice, la volonté de Pétain et de Weygand était de cesser la guerre avec l’Allemagne et d’éviter qu’un gouvernement se forme en A.F.N., la création de l’Armée de l’Armistice s’avérait pour eux une manne providentielle. Cependant, des commandants en chef, en poste en A.F.N. et dans notre empire colonial (bien informés des possibilités de la France d’outremer à poursuivre les combats) contestèrent la nécessité d’un armistice : notamment les généraux Nogués (A.F.N.), Mittelhauser (au Levant), Le gentilhomme qui fracassait l’Italien en Somalie, l’amiral Esteva commandant la flotte de Bizerte… La première tâche des « maréchalistes » de Vichy s’imposait : contraindre les récalcitrants à obéir aux ordres et, en le condamnant à mort, contrecarrer les appels du général de Gaulle à continuer la guerre à l’extérieur du territoire métropolitain. Ce qui s’entérina, sauf pour de Gaulle, qui, il est vrai, n’avait réuni autour de lui, à Londres, en juillet 1940, qu’environ 2700 militaires et civils.
Après la mise à l’écart d’officiers ayant failli lors de l’attaque foudroyante allemande (pourtant prévue par l’espionnage français !), bien des aléas, controverses, tracas…le nouvel état-major pétainiste s’attela à la formation d’une armée de transition, d’engagés volontaires, sur de nouvelles bases qui tardèrent à se concrétiser tant qu’elle abrita des « appelés » des classes d’avant-guerre, gradés et troupiers, qui renâclaient aux efforts physiques. Elle était pourtant bien vue d’une population intoxiquée par la propagande mensongère du gouvernement collaborationniste, très anglophobe après la destruction de notre flotte de Mers El Kébir par les Anglais et les attaques meurtrières des gaullistes à Dakar et en Syrie. Après ces « coups bas », l’Armée d’Afrique bénéficia, par Hitler, d’une forte dotation en armement et vit son effectif porté à 120 000 hommes. En métropole, Pétain était plébiscité. L’entraînement des engagés portait sur des préceptes moraux et physiques : éducation, foi en la France, volonté de se battre, goût du risque, habitude aux privations, rôle du physique sur le caractère, bonne tenue, obéissance aux ordres, compétition et dépassement de soi… Ce programme manquait hélas de formateurs montrant l’exemple !
Le général de Lattre de Tassigny avait adopté ces principes dans sa région militaire de Montpellier, avec en plus un souci d’éduquer au mieux les cadres. Je me rappelle (en gros !) une de ses allocutions pertinentes : « l’Armée d’Armistice est composée d’hommes qui ont subi le plus effroyable désastre que notre pays ait connu. S’il y en a qui se sont battus, d’autres, lâchés par des officiers qui se sont enfuis avant eux, sont arrivés en zone libre exténués, usés, lamentables. Ceux qui sont ici présents se sont engagés pour laver leur honte et rêvent de revanche. Avec vous tous, je veux créer une troupe nouvelle de patriotes enthousiastes. N’ayant pas le nombre, elle doit être exceptionnelle. L’Armée d’Armistice doit défendre farouchement nos traditions militaires ». Après ses visites, les punitions pleuvaient drues (le commandant du 2ème RIC ne fut pas concerné) !. L’armée avait conservé trop de badernes physiquement inaptes et personnellement inquiets. Leur conservatisme en des leurres périmés, leurs hésitations et leurs atermoiements sabotèrent ces idées d’une formation performante du soldat. En conséquence, les préceptes lucides prônés ne furent pas suivis par l’ensemble de l’Armée.
L’innovation étant quand même la naissance d’une armée professionnelle, trop vite enterrée… Passant outre les conflits, ses origines hétérogènes, les divergences ou contrastes entre espoir et réalité neutralisante, l’Armée d’Armistice symbolisa la présence de l’Armée contre vents et marées. Ses enseignements auraient dû se traduire de manière efficace si ses chefs, en plus grand nombre, s’étaient révélés capables (militairement) de décrypter les décisions cruciales qui s’imposaient, fin 1942, pour jouer un rôle décisif, dans l’honneur, de la reprise des combats… et soutenir De Lattre dans sa rébellion ou pour d’aucuns ne pas le trahir. Son plan avait l’aval de Churchill qui l’assurait d’un ravitaillement substantiel ; lui était assurée la coopération immédiate du plus important réseau de Résistance du Sud dans lequel militaient des officiers de l’Organisation Résistante de l’Armée (O.R.A.) : les généraux Frère (un des créateurs de l’O.R.A.) ; Verneau, son successeur à la tête de l’O.R.A. (tous les deux morts en déportation !) ; Revers, d’abord chef d’état-major de Darlan puis très actif au sein de l’O.R.A. ; le colonel Vautrin (figure emblématique de l’armée, héros de 39/40, aux exploits légendaires. En plus de son commandement de la région de
Grasse, il est nommé chef du 2ème bureau pour le Sud-Est et dirige une subdivision des « renseignements militaires ». Ses relations avec les Anglais, à Gibraltar, en font un rouage très important et très efficace)…
Oui, mais voilà, l’Armée est très « germanophobe » (c’est normal !)…mais aussi « anglophobe » (aïe aïe aïe !). Faut-il y voir la cause du désistement, en dernière minute, de beaucoup de chefs importants ? Personnellement, j’opte pour une des causes qui m’a toujours tarabusté l’esprit. Déçu par Weygand, prisonnier de sa fidélité aux principes d’obéissance, Roosevelt passe des accords (militaires et politiques) avec Giraud -qui se démène beaucoup depuis son évasion d’une forteresse allemande-, il a hâte d’amener l’Armée d’Armistice à reprendre le combat ; depuis l’été 1942, les prémisses d’un débarquement simultané des Américains en A.F.N. et en Provence circulent chez les résistants et l’Armée d’Armistice (sur le pied de guerre) ; alors que faire ? Quand tout bascule dans l’absurde, que les cervelles embrumées tournicotent au gré de courants contradictoires sans trouver de certitudes….
En définitive, les évènements vont se précipiter : le 08/11, débarquement allié en Algérie et au Maroc ; le 11/11, les allemands pénètrent en zone non occupée et s’y répandent jusqu’au 27/11 ; le même jour, sabordement de la flotte à Toulon ; puis, dissolution de l’Armée d’Armistice dans un désordre indescriptible. Environ 12 000 de ses soldats réussissent à rejoindre l’A.F.N., je ne sais comment : parmi eux, le général George et un bon groupe de son 2ème Dragons et de Lattre de Tassigny après une audacieuse évasion de sa prison française. D’aucuns fondèrent ou rejoignirent des maquis -qui grâce à eux bénéficièrent de leurs connaissances militaires-. D’autres, armèrent des groupes de résistants et de saboteurs. Les plus malchanceux cependant, se retrouvèrent en Allemagne (je ne sais combien, mais je pense « pas mal » !).
Dès ses débuts, l’Armée d’Armistice a donc préparé la revanche. Elle formait les cadres futurs, clandestinement renforçait en hommes et en matériels les unités stationnées en A.F.N., stockait dans caches des armes récupérées, souvent même en fabriquait… Elle maintint en service des cellules du 2ème Bureau, organisa un réseau de contre-espionnage efficace (camouflé sous le nom de « Travaux Ruraux ») et favorisa le passage par l’Espagne de spécialistes (gens de métier que réclamaient l’Armée de Libération qui se formait en A.F.N.). Elle donna naissance à des cellules régionales d’espionnage, sous l’autorité de l’O.R.A., de corps-francs, de groupes de saboteurs… Les officiers, quand on « s’égailla dans la nature », déconseillèrent les attentats, recommandant le mutisme, la solitude dans les sabotages et le libre choix des regroupements. Cette Armée de l’Armistice fut donc une des principales racines de cette « Armée de la Libération » qui participa, avec brio et panache, à la victoire des Alliés, en Tunisie, en Italie, en Provence, dans l’Est de la France et en Allemagne. Elle libérera seule la Corse et donnera à l’Armée deux de ses maréchaux : Juin et de Lattre de Tassigny. Je suis fier et heureux d’avoir été à leurs côtés.
Quand aujourd’hui, je vois défiler les compagnies du 2ème RIMa à Auvours, je suis ému car j’y vois la représentation idéale de ce que voulait faire de nous, à cette époque, nos officiers avant-gardistes. Le « flambeau » est donc bien transmis.
Signé : « l’Ancien ». Camille HOUDBINE (amicaliste et ancien du 2ème RIC).
Nota du président : mon cher Camille, quel magnifique exemple du « devoir de mémoire » !