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Crédits photos Ouest France

Préambule : « Des évènements récents de notre vie quotidienne nous rappellent assez souvent, qu’il n’y a pas de présent compréhensible, ni de futur prometteur, sans passé connu et expliqué. Aussi, ai-je lu, avec grand plaisir, car bien présentés dans notre bulletin semestriel, les articles du docteur J.F. ROUX, de Sébastien ALBERTELLI, celui sur le BCRA et celui sur l’épopée de nos si vaillants (j’en ai été témoin) tirailleurs du Maghreb, avec qui j’ai combattu l’ogre nazi en 1944. Comptes rendus instructifs qui remettent en évidence cette maxime : si nous n’avons plus de mémoire…nous n’aurons plus d’histoire. La vie des peuples se perpétue, non par les possédants et tenants des divers pouvoirs, mais par les récits de témoins d’évènements souvent inconvenants, qui peuvent en divulguer les vérités, parce qu’ils n’en tirent pas profit. Alors, je relève, à mon tour, la gageure de raconter mon vécu dans les années 1940-1945 ».

 

 

                                              « MA DROLE DE GUERRE ».

 

Pourquoi après un si long silence, raconter des anecdotes vécues de mon temps de guerre, période d’un monde violent -pour nous Français sous la botte écrasante Allemande-, de vexations et de menaces quotidiennes pour ceux qui ne baissaient pas l’échine, alors que les traumatismes émotionnels de cette guerre 39/45 (on ne sort évidemment pas indemne d’un environnement aussi cruel) et l’incompréhensible imbroglio de nos diverses politiques au cours des années suivantes pèsent encore assez fortement, pour empêcher la plupart des victimes de la 2ème guerre mondiale de relater sereinement leurs douloureuses expériences ?

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Arrivee de soldats allemands en gare du Mans

Ce long silence peut s’expliquer par la hantise que nos propos de rescapés soient tournés en dérision, par des interlocuteurs distraits et peu enclins à lire ou écouter la relation d’évènements qui leur révèleraient la fatuité de leur vie insouciante, si ce n’est pour nos contemporains de ce temps, une contraignante neutralité -voire une collaboration avilissante avec l’occupant (il n’y avait pas beaucoup de résistants avant 1944 : la dureté de la vie courante ; l’obsession des arrestations ; les 2 millions de prisonniers… peuvent expliquer cette carence !)-… mais aussi, la désastreuse guerre d’Indochine (45/54) dans laquelle l’Armée Française s’enlise malgré sa vaillance, épuisée, usée, par d’incohérents changements de notre politique malheureusement encore coloniale : « ah, si l’on avait laissé le général Leclerc la commander…mais il gênait et devenait trop populaire… » ; puis, de 1955 à 1962, la déprimante, irréelle, tentative de « pacification » des Algériens révoltés, dont la solution finale déshonore bien des belligérants. 23 ans de combats, d’incompréhensions grinçantes entre la Nation et son Armée avaient annihilé le peuple fatigué de tout ce fatras.

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Avenue Olivier-Heuze

Alors, à moi tout du moins, il me semblait déraisonnable de remettre sur le tapis, la « der des der » si douloureuses pour ceux qui la subirent, mais qui s’estompait dans l’esprit d’une population aspirant à plus de tranquillité ! Quant aux jeunes de ces années-là, pour la grande majorité d’entre eux, la libération des mœurs, les plaisirs, obscurcissaient leur reconnaissance envers ceux qui avaient sauvé leur liberté : les années s’égrainaient, l’oubli endormait les consciences !

 

Le sujet refit surface en 1981, suite aux attaques méprisantes d’échotiers malfaisants contre le nouveau Président de la République. De nombreuses personnes, surtout des étudiants, demandaient des explications pour étayer leurs réflexions sur la période régnante des nazis ou autres fascistes. Il est vrai que ceux-ci, de nouveau, martelaient la pavé, profitant du laxisme des démocraties.

Des associations concernées s’alarmèrent, firent chorus, et en plus d’elles, invitèrent ceux qui avaient un vécu combatif de ce temps mal enterré, à en parler au nom du « Devoir de Mémoire ». C’est ce qui me décida à « me raconter ».

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Le soldatenkino_place_de_la_Republique

Je n’avais que 16 ans en 1940, lorsque les hordes nazies envahirent le pays. J’étais très remonté contre eux, car mon père m’avait plusieurs fois emmené pour transporter des blessés de leurs ignobles mitraillages et bombardements : 2 fois en gare de Sablé notamment. Il avait récupéré une camionnette et j’avais chapardé, dans un dépôt anglais, en forêt de Pescheray (mon pote faisant le guet) des bidons d’essence. J’avais en l’occurrence, essuyé des coups de feu des sentinelles qui n’avaient sûrement jamais autant tiré sur l’ennemi ! Le premier  que je vis, dormait près de sa moto, sur la talus d’un petit chemin de la forêt. J’en sortai, alors que déboulait sur la grande route, l’avant garde d’une colonne blindée boche. L’officier de tête fit bifurquer sa chenillette vers moi et tenta de m’assommer avec, il me semble, une barre de régulation. Il me loupa de peu la tête, m’atteignant les deux épaules et le dos ; je tombai groggy. Je rentrai à la fermette de l’oncle Baptiste ; il me massa les épaules, à la goutte, m’en fit boire un peu et vint coucher avec moi dans l’écurie -la maison étant occupée par de la famille mancelle et des réfugiés-. Je restai à la ferme, finir les foins, après que l’oncle m’eût emmené chez un « toucheur » de ses amis, comme lui, ancien roulier au long cours. Puis je rentrai à Sablé reprendre mon travail à l’imprimerie Coconnies, définitivement rebelle.

 

un panzer place de la république

 

 


Un millier de « vert de gris » occupait la ville, arrogants, bien nourris ; ils logeaient chez l’habitant (on en avait 2 à la maison). J’étais déconcerté de constater l’obéissance apeurée de trop de gens à leurs ordres gutturaux, de ne pas déceler des mouvements d’humeur, de rébellion, devant la morgue de leurs chefs. J’en ai vu gifler des piétons qui ne leur laissait pas assez vite le passage sur le trottoir. Je pris mon lot de bottes, en évitai pas mal en jouant au toréador. La population était apeurée, subissant douloureusement la honte de la débâcle, et s’inquiétait sur le sort de ses soldats ? La préoccupation essentielle : de quoi assurer les maigres repas ! Tout le monde encensait Pétain, soutenu par une droite revancharde et par un clergé qui en faisait le sauveur de la France. Puis vint l’opération « Charme  de la Wehrmacht », les dirigeants du Reich espérant un rapprochement militaire avec la France. Alors, la collaboration, déjà dans les esprits, s’amplifia ! Ensuite, l’imitation flatteuse de la discipline des vainqueurs, certains par goût de l’ordre, d’autres par «  servitude servile », par lâcheté, opportunité ; certains en rajoutent, semblant prêts, dans leur propre pays, à vivre sous le joug de maîtres sadiques, en s’excusant presque d’exister ! Comment ou pourquoi les rescapés de 14/18, leurs descendants, ont-ils pu tolérer autant d’hommes et de femmes qui se sont avilis, nous couvrant de honte ?




 

Avec des copains, William Maisonneuve, Charles Chaumont, Eugène Parmentier, nous luttions selon nos moyens : sabotage de véhicules, mélange de pancartes indicatrices, surtout celles indiquant la route pour l’usine de munitions, déchirant ou maculant de boue les affiches de propagande… C’était dangereux avec le couvre-feu imposé ; William est devenu exalté, imprudent. Il voulait organiser des attentats. Gégène avait récupéré un revolver et des balles. Un soir, nous étions dans la salle de ping-pong du patronage, il nous le montra. On entendait une section d’allemands qui montaient le faubourg en chantant. William voulut le prendre et tirer. On le maîtrisa avec peine. Il se fâcha. Gégène (quelle connerie lui passa par la tête ?), me mit en joue et tira ; il y avait une balle dans le canon du revolver, elle me frôla au point de brûler le revers de ma veste. On s’enfuya par les « Grands Jardins Langlais », nous réfugiant dans les écuries de l’hôtel de la « Boule d’Or », où festoyait la soldatesque abhorrée. On y passa la nuit. William rejoignit un groupe très engagé…On ne le revit jamais !

 

Avec Gégène, un soir, on se battit contre deux soldats qui se moquaient de nous ; ils nous enlevaient nos bérets, nous coiffant de leurs casquettes. Ils eurent le bon sens de ne pas se servir de leurs baïonnettes pendues à leurs côtés ; il est vrai qu’ils avaient le dessus. On rompît, la rage en nous, avant d’être trop amochés. Une autre fois, on jouait au billard, au café Landeau, angle du faubourg et de la place de la République ; deux « doryphores » voulurent prendre nos places en nous bousculant méchamment : empoignades, coups de poing… Gégène disparut, dans l’étroit escalier, pendant que je me débarrassai de mon opposant d’un coup de pied bien placé (merci Père Ferdinand, notre moniteur de gym et de boxe française), mais l’autre soldat me serrait de près quand je sortis du café ; mon père qui débouchait de la rue de l’Ile, en face, enregistra de suite la et heurta mon opposant.

 

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Les nazis avaient rompu « Charme » ; ils étaient de nouveau très belliqueux. Je me camouflai dans des fermes, aidant aux moissons (Maison Neuve, Le Clos du Bois, l’Outinière sur Pincé). Dans une imprimerie à Segré, chez un ami de mon père, on y imprima des tracts vantant de Gaulle, les distribuèrent, même en les collant sur des affiches collaborationnistes ! Je revins dans les environs de Sablé, travaillant à l’usine Winterberger, à la SACER comme terrassier, chez Lebourdais (vins et spiritueux)… Avec les copains, on se voyait le samedi soir et le dimanche. Souvent à la Boule d’Or, sans abuser, la tenancière nous acceptait… On avait mouillé son fils Maurice dans plusieurs de nos exactions pour museler son caquet !

 

Un samedi soir, avec Gégène, elle refusa de nous laisser entrer : sa salle était bondée de boches en fête. On se réfugia dans une des écuries… Se gara alors, sous le porche, une grosse limousine, en descendit le chauffeur qui ouvrit une porte arrière. Le chauffeur, en plusieurs voyages, entreposa des victuailles dans le coffre de la voiture. On vit l’officier, avec une fille, entrer par le balcon dans une chambre et, intrigués, vîmes arriver un taupier de connaissance, son vélo chargé de deux paniers. Il transborda l’un dans le coffre de la limousine, soit six poulets vivants, les pattes attachées, puis rentra au café. Excités par ce que l’on voyait faire, on souleva le panier de devant le vélo du taupier (un furet y était enfermé dans une cage). Comme de bien entendu, on le libéra et l’installa dans le coffre de la limousine. Quel charivari, le furet était à l’aise… On creva un pneu à la voiture et on s’enfuya dans la nuit…vengés et heureux du coup réalisé ! Revenu chez Baptiste, je l’aidai pour la nourriture et l’abri, à tirer la pierre dans sa carrière et à faire du bois dans la forêt tout l’hiver. Quand la bougeotte me tenailla, je repris mon bâton, musette garnie sur le dos et pris la direction du sud, vers la zone libre, pour rejoindre les troupes dissidents gaullistes.


 

De talus reposants en fermes accueillantes (trop peu !), je taille ma route, têtu, obstiné vers mon but : l’Armée ! A la campagne, en forêt, surtout seul, les problèmes s’estompent, les remous des villes évités, on se consacre au mieux, aux exigences que l’on s’est fixées. Réveillé par les chants de l’aube me donne du courage pour le nouveau jour qui point. Je réussis seul à franchir « la frontière » et j’arrive à Châteauroux. A la caserne, j’explique mon cas. Avec d’autres, on me convoie jusqu’à Nîmes, puis dans un camp militaire sur la route d’Uzès. Je suis déçu, on est mal traités, affamés, les chevaux que l’on garde… En m’engageant pour le 2ème RIC, je fus désigné pour rejoindre la lignez Marreth dans le sud tunisien. Alors que j’étais embarqué, à Marseille, sur un cargo en partance pour l’Afrique, l’invasion de la Zone Libre par les allemands (suite au débarquement américain en A.F.N.) ainsi que le blocus des ports par la marine italienne (que notre superbe flotte en rade de Toulon aurait pu chasser aisément) m’empêchent de rejoindre mon affectation.

  

Revenu à Perpignan, habillé de neuf, ma nouvelle compagnie tente de rejoindre sa position vers le frontière d’Espagne. Le général de Lattre de Tassigny et des réseaux de résistants, ravitaillés en abondance en armes par les Anglais, avaient envisagé de créer un front de résistance. C’était réalisable si les dissensions entre les Alliés puis entre Gaullistes-Giraudistes-Vichystes et différents réseaux importants n’avaient fait capoter cet espoir de laver notre honte ! Section par section, on essaya de résister à travers les Corbières jusqu’à Castelnaudary. Mitraillé, toujours aussi affamé, encerclé, ne voulant pas être prisonnier des Teutons, j’arrive à m’enfuir. Me camouflant le jour, marchant la nuit, après bien de embûches, je parvins à rentrer chez mes parents, éreinté !

 

Mon repos ne dura guère, dénoncé, je dus reprendre mon errance et réussir, très difficilement, à franchir une nouvelle fois la « nouvelle frontière », sévèrement surveillée, essuyant au passage des tirs de sentinelles d’une patrouille lancée à mes trousses (cet épisode mériterait un plus ample développement pour en saisir toutes les difficultés). Je suis arrêté par des gendarmes français et emprisonné à Saint Aignan. Relâché, cahin caha, après de nombreuses mésaventures, toujours aussi obstiné à rejoindre les forces gaullistes, j’arrive dans un petit village catalan. Recueilli par des braves gens -Mr et Mme Noly-, malgré le danger que je représente, ils me demandent de tenter de passer en Espagne. Les sentiers étant impraticables (on est en janvier 1943), je m’embauche dans le coin, comme tâcheron, aux mines de Batère, dans une papeterie, séjournant parfois dans des camps de républicains espagnols, participant avec eux à des intimidations armées sur des postes schleus. A l’une de leurs bagarres, où je fus mêlé, la police mandée (il y avait des blessés !), je dus quitter le coin.

 

Sans travail, très fatigué, j’eus des nouvelles de mon père, par l’intermédiaire du fils Moly (avec qui je correspond encore maintenant) : sur le point d’être arrêté par les allemands, il s’était enfui, lui aussi, et travaillait dans les Landes ; il me proposait de venir le rejoindre si j’étais trop malheureux. Ce que je fis. Il ne put me faire embaucher dans son entreprise. Je terminai mon voyage dans un camp de travail allemand, peuplé de pauvres hères comme moi, de nombreuses nations opprimées. J’entrai de suite dans un groupe qui sabotait le plus possible. Je restai 3 mois dans ce camp. Une nuit, surpris au cours d’un sabotage, je poussai le gardien dans un trou de terrassement. Grâce à un copain polonais qui occasionna un court-circuit, je parvins à m’enfuir. Je me reposai chez des espagnols qui travaillaient à la poudrière Saint Médard : ils étaient jeunes. Reprenant mon cours, de ferme en ferme, je revins en Sarthe. Ayant acquis de faux papiers, je fus réquisitionné par les allemands pour être intégré (avec en plus de ma paye des indemnités de déplacement !) comme manutentionnaire dans un entrepôt de vivres et de matériels, en gare de triage au déchargement des wagons à la Cartoucherie. Alors là, je sabordai et espionnai en plus ! Je subis plusieurs gros ennuis, que je raconterais peut-être un jour ! La gendarmerie française, sentant le débarquement allié proche, vira alors sa cutie !

 

Ainsi, comme d’autres soldats évadés comme moi, on me réintégra dans l’armée. Je participai alors à la libération du Mans et de ses environs. Mon régiment ayant débarqué en Provence, je le rejoignis ENFIN. Au sein de la 1ère Armée Française, sous les ordres de De Lattre De Tassigny, je participai à la libération de la Côte d’Or, de la Haute Saône et du Jura, aux très éprouvants combats dans les Vosges, en Alsace, en Lorraine, en Allemagne, jusqu’à la victoire du 8 ami 1945. Ces combats sont nommément inscrits sur l’état signalétique que l’on m’a remis à ma démobilisation.

 

                                                    Signé : « l’Ancien ».

 

PS : les souvenirs dorment en nous, conservés dans un fond de tendresse, que le temps ne parvient pas à ternir. Dans les moments de doute, de mélancolie, des voix disparues me reviennent, compagnes apaisantes de mes insomnies, qui égrènent des mots rassurants… Des mots qui dorment en moi… Qui renaissent quand le soleil change les couleurs, que la pluie chante autrement… que la nuit efface le jour…..

                                           Camille HOUDBINE (amicaliste).

 

 

Nota du président : mon cher Camille, la lecture de ton récit m’a bouleversé. Puisse-t-il servir d’exemple aux jeunes générations qui nous suivent. Tu n’as fait que ce qu’il te semblait nécessaire de réaliser à l’époque, avec tes moyens, ta conviction profonde et ton amour de la Patrie. Je m’incline très respectueusement devant ton action.

 

Amis lecteurs, rassurez-vous, Camille m’a laissé un autre récit, vous l’aurez prochainement. Quant à toi, Camille, nous avons encore besoin de tes « souvenirs », sinon la mémoire viendra à disparaître ! TD.

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