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(suite et fin des aventures d’un marsouin du 2ème de Marine de Brest).

 

marsouin

 

 

     

   

 

« Vers le milieu du mois de Mai 1885, je suis de nouveau au poste des Pins Parasols. Ce poste se trouve installé sur la crête de la montagne sacrée (en annamite, on dit « Nouje-Kié » qui veut dire montagne de l’eau. Les croyants de la religion de Boudha viennent prier au pied de ladite montagne et demandent à leur dieu de donner de l’eau pour arroser leurs rizières. Un autel est dressé au pied de la montagne sur le versant nord. Je les ai vus en très grand nombre au mois de juin 1885. La hauteur de cette chaîne est de 140 mètres. Sur le sommet, on trouve une vingtaine de pins parasols répartis en plusieurs endroits. Ils sont très vieux. Presque toutes les racines sortent de terre car les roches les empêchent de pénétrer dans le sol. Ce poste optique est à 15 kilomètres de Bac-Ninh et à 3 kilomètres sur la droite de la route mandarine d’Hanoï à Lang-Son. C’est une des premières montagnes avant d’arriver à l’arroyo de Song-Trung.

Il y fut installé au lendemain de la prise de Bac-Ninh (14 mars 1884). Il se compose de six télégraphistes militaires avec quatre appareils et le matériel nécessaire Pour la sécurité du service, un détachement de 25 hommes d’infanterie commandés par un officier y est installé. Des constructions en maçonnerie avec créneaux ont été rapidement construites pour y loger la garde. Il en a été de même pour le logement des télégraphistes et les salles du service des communications. Ce local est proche de la maisonnette des télégraphistes. Il y a un petit blockhaus pour la troupe, un logement pour l’officier, et un à côté pour les gradés. Une petite cambuse aux vivres existe également. Tout a été bien installé. Pendant le temps que j’ai passé au poste des Pins Parasols, j’ai été plusieurs fois désigné pour aller à Hanoï porter un appareil de télégraphie optique et en ramener un autre. Seul avec mon fusil et mes cartouchières garnies. Quatre coolies portaient l’appareil. Je les suivais lentement en marchant au pas de route. C’était une véritable corvée. En plus, il n’était guère prudent de faire seul un tel trajet, aller et retour dans la même journée. Sur la route, c’est-à-dire sur la digue et les petits sentiers longeant les villages, il fallait prendre beaucoup de précautions. Une fois, à la tombée de la nuit, vers six heures et demie, j’aperçus à un détour du village une bande d’individus à 500 mètres de l’endroit où je me trouvais. Les chiens aboyaient à notre approche. Les porteurs me firent signe et me disent « yac-yac ». Voulaient-ils dire « pirates » ? En effet, les hommes de ce groupe étaient armés de fusils, de sabres, et de longues lances. Pour le coup que je me sentais fort petit et seul. J’avoue que je marchais plus vite avec mes quatre coolies porteurs d’appareils. Eux n’en menaient pas large non plus. Je chargeai mon fusil et laissai ma cartouchière ouverte en cas de besoin. Nous quittâmes le village, et nous nous retrouvâmes en pleine rizière. Nous marchâmes en file indienne sur la petite digue. Un peu après, nous arrivâmes dans un gros village que nous devions traverser. Nous ne voyions plus les groupes armés. Nous avions le cœur soulagé. Du mois de juin jusqu’au mois de septembre (1885) le choléra s’est glissé parmi les troupes françaises, notamment à Lam, Chu et Phu-Lang-Thuon. Dans des garnisons, on a signalé jusqu’à 20 et 25 décès par jour. L’épidémie a été amenée au Tonkin par les troupes qui ont évacué l’île Formose ; La Légion étrangère et le 3ème bataillon de Joyeux (bataillon d’Afrique). Le nombre exact des malheureux morts de cette terrible maladie a été caché pour ne pas effrayer les survivants. Quand des renforts (soi-disant renforts !) arrivaient de France, c’est à peine s’ils parvenaient à combler les vides laissés par la dysenterie, les fièvres, le choléra et autres maladies que l’on cache). Le 27 février 1886, je quitte le poste optique des Pins Parasols pour me rendre à Dap-Cau, et entrer à l’ambulance de cette place. Je demeure un mois dans la localité de Dap-Cau. Je suis le plus ancien au Tonkin, avec trente deux mois de présence. Le médecin-major, Mr Bauer, de la Légion étrangère, en est très surpris. Il m’observe et me dit qu’il va me proposer pour rentrer en France. « Vous devez en avoir assez ? » me demande-t-il. « Oh oui, monsieur le Major ! Dis-je. Mon tour devrait bien arriver ! Je suis fatigué, mais je patienterai jusqu’au bout ! ». Je quitte Dap Cau vers la fin du mois de mars 1886 et me rends au dépôt des convalescents et rapatriables. Le départ a lieu le 20 avril 1886, à quatre heures de l’après midi. Je suis au Tonkin depuis le 19 juillet 1883 Nous sommes une soixantaine à quitter le dépôt. Nous sommes disposés sur quatre rangs, notre baluchon sur l’épaule (sac de matelot), le bâton de bambou à la main. (J’ai gardé le mien jusqu’à mon arrivés en France). Nous marchons assez lentement vers le quai, où nous attendent les sampans. Ensuite une chaloupe à vapeur nous conduit près de notre bâtiment. Nous approchons de l’échelle et nous montons à bord. Ce grand transport se trouve en face de la Concession d’Haïphong. Un numéro d’ordre nous a été remis pour embarquer. Ce bateau appartient aux compagnies nationales, affecté pour le transport de guerre et du courrier Sur le pont on respire un peu en regardant la terre. Nous nous disons : « ça y est ! » A tout moment, des troupes arrivent pour y prendre place. Nous serons onze cents en tout : officiers, sous officiers, caporaux et soldats de toutes catégories. Le bataillon du 23ème de ligne, des spahis, quelques tirailleurs algériens, des zouaves malades, du trin, des chasseurs à pied libérables, de la Légion étrangère, des zéphirs joyeux de l’infanterie de marine, de l’artillerie de marine et de terre. Réflexion à propos de la plaque d’identité portée par les troupes de l’armée de terre (numéro de recrutement et de la classe) : les troupes de la marine n’en avaient pas. Pourquoi cela ? Le 4 juin 1886, à 10 heures du matin, nous franchissons la passe du port de Toulon. C’est avec joie que nous admirons cette ville dans laquelle nous allons bientôt descendre. Trois années auparavant, le 1er juin 1883, une foule nombreuse se pressait sur les quais de ce port de guerre pour saluer notre départ. Aujourd’hui, personne pour nous recevoir. Sauf un ou deux officiers du 4ème Régiment d’Infanterie de Marine, qui nous attendent seuls au quai de débarquement. Il est bien vrai que le 1er juin 1883, nous étions 1 800 pour embarquer et qu’aujourd’hui nous ne sommes qu’une trentaine, sous officiers et soldats, artilleurs et fantassins de la marine. Nous sommes sept soldats à avoir fait le même trajet aller et retour du Tonkin. Les autres sont restés là bas, tués, blessés, ou morts des suites des maladies contactées durant la guerre. Nous passons à la douane avant de quitter le port. Quand c’est terminé, un sergent du 4ème nous conduit à bord d’un vieux sabot (bâtiment à trois ponts) portant le nom de Panama. Sont seuls admis sur le ponton les isolés n’appartenant pas à la garnison de Toulon. Ce sont les 1er, 2ème et 3ème d’Infanterie de Marine. Nous restons six jours dans cette ville. Une fois nous prenons un petit repas à terre à l’enseigne « Au retour du Tonkin », sur le quai, en face de la « Patache », poste de police pour les marins. Le quatrième jour de notre arrivée, on nous conduit à l’hôpital maritime pour y passer une nouvelle visite (conseil de santé) et recevoir nos papiers. Nous obtenons tous trois mois de convalescence de la part du médecin en chef de l’hôpital maritime. Le lendemain, nous préparons notre baluchon afin d’être prêts à l’heure de notre départ. Encore une sortie pour un petit dîner d’adieux. Nous écoutons la musique des équipages de la flotte qui jouent ce soir-là sur la place d’armes. Nous rentrons et répondons présent à l’appel. Le 10 juin, à sept heures du soir, le détachement des convalescents est conduit à la gare pour prendre le train se dirigeant sur Paris. Nous y sommes conduits par un adjudant du 4ème Régiment d’Infanterie de Marine. Nos bagages nous y attendent déjà depuis près d’une heure. Nous sommes le dimanche 13 juin 1886, j’arrive avec mon baluchon sur l’épaule et nom bâton à la main, à la porte de chez mon père à Gien (Loiret). Ici se termine ma vie de simple soldat. Huit jours après mon arrivée au pays, la gendarmerie m’apporte mon congé renouvelable. Je le reçois avec plaisir.

 

NDLR : Par la suite, Louis SARRAT entre au Chemin de Fer de l’Etat jusqu’en 1921, date de sa retraite. Il était membre de la Société des Militaires médaillés coloniaux, titulaire de la Médaille du Tonkin, de la Croix du Combattant et de la Médaille d’argent du Ministère des travaux publics.

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