LES REPUBLICAINS ESPAGNOLS FACE AU NAZISME. SUITE 2 et FIN.
La porte du couloir crisse sur ses gonds, des raclements de soulier sur le sol… un corps que l’on traîne. On ouvre la cellule, ils lâchent le corps torturé qui s’affale sur le sol. Il est nu… juste les souliers. Son dos n’est qu’une plaie à vif, ses fesses et ses cuisses éclatées en de profonds sillons. Un gardien reste, lui fait une piqûre (Luis n’a dû RIEN lâcher !) ; il m’aide à l’allonger sur la planche, je lui demande de l’eau, beaucoup d’eau ; il grogne mais m’en apporte un seau, il laisse la lumière, merci !
Luis Royo Ibanez devant le half-track Madrid
Je nettoie le visage de Luis comme je peux, humecte ses lèvres ; des instants cauchemardesques, il ne réagit pas. Dans la matinée, il bouge alors ses mains, tente de remuer ; ses lèvres tremblent… il veut peut-être me parler ? Je m’agenouille près de sa bouche. Il susurre et me charge d’un message pour l’un de ses amis. « Tu le connais ! », puis il prononce : comédie, comédie. Luis lutte intérieurement dans son univers de douleurs pour retenir le peu de forces qui le soutiennent. Il arrive à boire par petites lampées dans la gamelle que je maintiens. Pas de soupe ! A la nuit, c’est encore son tour…
Ils le traînent vers son lieu de supplice. Son reste de vie ne lui permet pas de hurler. C’est moi qui disjoncte, craque, pleure de remords. Ils l’ont ramené brisé, un pantin désarticulé ; l’ont jeté sur la planche brutalement sans qu’il réagisse. Il est tellement meurtri, saoulé de coups que les douleurs ne semblent plus l’atteindre, il en a dépassé le seuil ; le sang coule de ses oreilles ; ils l’ont éborgné, son œil pend sur sa joue ! Comment est-ce possible qu’il respire encore ? Il n’est pas mort… moi, je suis mort de peur, car en partant, un des bourreaux m’a asséné un sale coup derrière la tête.
Dans la journée, encore mal en point, on m’emmena à pied, deux fusils braqués dans le dos, dans un immeuble hors de la prison. Dans une pièce, un civil m’interrogea, d’abord en me giflant et essayant de me confondre. Il se calma, m’asséna des évidences que j’approuvais, me révoltant de temps à autre… comédie, comédie comme disait Luis. C’était long, inquiétant. Le traducteur se montra rassurant. Pour cause, de fil en aiguille, il me proposa de retourner aux entrepôts, pour les aider à découvrir les saboteurs ! J’écoutais servilement… souriant, paraissant heureux de la proposition… Merci Luis : comédie, comédie !
Le « feld » donna des ordres aux deux gardes et ceux-ci me ramenèrent confiants, l’arme à l’épaule. En haut des marches qui montaient à l’entrée du perron de la prison, je les bousculais, sautais en bas et me mélangeais aux passants éberlués : c’était le jour du marché, ouf ! Je me réfugiais chez un copain (?) de Luis, que je contraignis méchamment de me garder ! A la nuit tombée, très inquiet, mais attentif, je transmettais, à cet « ami », le message que Luis m’avait confié. Je regagnais alors, mais non sans mal, une planque que je savais sûre.
Je ne sais pas ce qu’est devenu Luis. Il demeure, depuis ces jours sombres, toujours présent dans mes pensées.
Camille HOUDBINE : « l’Ancien ».
Merci Camille. Quel magnifique et poignant témoignage. Le président.
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