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« AUX SOLDATS DE L’ARMEE FRANCAISE MORTS A DIEN BIEN PHU ».

Nota du président : en hommage et en souvenir du général BIGEARD, décédé le 18 juin 2010, il me semble tout naturel de revenir sur l’un de « ses glorieux combats ».

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Pour les milliers de soldats qui ont combattu dans et autour de la célèbre cuvette de Diên Biên Phu, le 7 mai 1954 met un terme à cinquante-cinq jours d’une terrible bataille. Cette date marque également l’achèvement symbolique de la guerre d’Indochine et la fin de la présence française dans ce pays.

C’était un vendredi entre 17h30 et 18h00. Le silence tout à coup envahit la plaine de Diên Biên Phu, après bientôt deux mois de vacarme indescriptible, fait de bombardements d’artillerie, de survols aériens et de combats en tous genres. Quelques instants plus tôt, avant de détruire son émetteur-radio, le général de Castries, qui commandait la place, a adressé un dernier message à Hanoi au général Cogny, commandant des forces terrestres du Nord-Viêtnam. « Les Viêt-minh ne se trouvent plus qu’à quelques mètres du poste d’où je vous parle, indique-t-il sobrement ; j’ai donné des ordres pour opérer le maximum de destructions. Nous ne nous rendrons pas ». L’ordre de cesser le feu est néanmoins donné et les armes détruites.

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Pierre Schoendoerffer lui-même, alors unique cinéaste de l’armée sur ce front, casse sa caméra et voile la plupart de ses films. Le silence… Et puis soudain les « Bo Doi », en uniformes verts  et casques de latanier, font irruption des tranchées où ils progressaient, d’autres traversent au pas de course le pont de la Nam Youn ; la pointe avancée surgit dans le PC enterré de De Castries. Sur le blindage qui lui sert de toit, l’un deux brandit le drapeau de la République démocratique du Viêtnam, rouge à étoile d’or . Vu d’avion, le champ de bataille semble constellé de taches blanches, autant de parachutes qui n’ont pu être roulés. Le plus long et le plus violent combat de la guerre d’Indochine, assurément le plus important aussi, est terminé. Il s’achève pour la France par une défaite.

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L’écho international de l’écho est immédiat. A Paris où, compte tenu du décalage horaire, la journée commence seulement, les journaux de l’après-midi ont le temps de peaufiner leur « Une ». « Diên Biên Phu est tombé, submergé par le furieux assaut des Viets », titre France-Soir sur six colonnes. A 16h30, au Palais Bourbon, le président du Conseil Joseph Laniel annonce la tragique nouvelle aux députés -sans doute le centre de résistance d’« Isabelle » tient-il toujours mais, bien sûr, ce ne peut plus être pour très longtemps-.

A Genève, où la Conférence sur la Corée et l’Indochine s’essouffle sur le dossier coréen, la séance du 7 mai est présidée par le ministre soviétique des Affaires étrangères, Molotov. Son homologue français, Georges Bidault, qui n’y assiste pas, est très vite prévenu par un appel téléphonique de Maurice Schumann, avant que ne circulent en tous sens les télégrammes de presse. Molotov, que d’aucuns soupçonnent d’avoir retardé l’entrée de la Conférence dans sa phase indochinoise, peut annoncer que celle-ci s’ouvrira le lendemain même, samedi 8 mai.

Dans le reste du monde, on découvre en même temps l’existence de Diên Biên Phu et la « gifle » reçue par la France. Comme le suggère un quotidien du Caire, le vieil « impérialisme » paraît ébranlé.

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Pour les milliers de soldats ayant combattu dans et autour de la « cuvette » (12 000 du côté français, peut-être quatre fois plus du côté vietnamien), le 7 mai met un terme à cinquante-cinq jours d’une terrible bataille, vécue par les combattants français comme un « enfer » comparable à celui de Verdun.

D’autant que, dès le début, le sort des armes a paru scellé. Le concept de la base aéronavale de Diên Biên Phu, proche du Laos, rend en effet celle-ci entièrement dépendante de sa piste d’aviation : dans ce Nord-Ouest du Viêtnam, très montagneux et difficile d’accès, par ailleurs contrôlé par l’ennemi, le « cordon ombilical » ne pouvait être qu’aérien. Or, dès les premiers jours de la bataille, qui commence le 13 mars, la piste d’aviation, consolidée de plaques métalliques, est mise hors d’usage par l’artillerie Viet-minh, efficacement disposée sur les montagnes alentour.

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Restent les parachutages d’hommes et de matériels. Cinquante-cinq jours plus tard, c’en est donc fini ; sauf que, pour les survivants, les choses ne s’arrêteront pas là : quelques centaines de blessés pourront être rapatriés par hélicoptère, grâce à un accord négocié par le professeur Huard, de la faculté de médecine d’Hanoi, avec certains de ses anciens étudiants engagés dans le camp Viêt-minh ; mais la plupart, désormais prisonniers, prendront à pied la longue route des camps d’internement, où ils ne resteront que quelques mois, mais d’où beaucoup ne reviendront pas.

D’une certaine manière, la bataille de Diên Biên Phu est symbolique de la guerre d’Indochine toute entière. La plaine de Diên Biên Phu a été reconquise les 21 et 22 novembre 1953 par l’opération Castor (une victoire avant d’être une défaite), comme l’Indochine l’a été elle-même après la rupture de 1945. La bataille symbolise aussi la mission que s’est finalement donné le corps expéditionnaire français, à défaut d’obtenir une véritable décision militaire : affronter le corps de bataille ennemi et ouvrir de nouveaux espaces aux forces alliées des Etats associés. Le Laos paraît ainsi, d’une certaine manière « protégé » par Diên Biên Phu (un temps seulement bien sûr) ; le Viêtnam de Bao Dai pourrait recouvrer une part du Centre Viêtnam, « dégagé » parallèlement à Diên Biên Phu par l’opération Atlante. La bataille apparaît enfin emblématique de l’aide américaine : le scénario prévu pour 1954 fait entrer celle-ci pour près de 80% dans le financement de la guerre, plutôt qu’ailleurs au profit des Etats associés, dont les forces militaires sont assez peu présentes dans la cuvette.

Mais Washington répondra par la négative aux deux demandes françaises de soutien direct pendant la bataille. La date du 7 mai 1954 trouve son sens pour qui prend le recul du temps. Fin d’une bataille engagée depuis le 13 mars et qui aura duré 55 jours, fin également d’une opération de reconquête de la plaine en question, nœud stratégique en direction du Laos, elle marque en même temps l’achèvement symbolique de la guerre d’Indochine.

Il ne s’agit certes pas de la première défaite française dans cette guerre, bien qu’il y en ait eu peu : Cao Bang en 1950 est le précédent de référence. Mais celle-là intervient alors que la négociation commence à Genève et que tous semblent vouloir en finir : les deux mois qui séparent la chute de Diên Biên Phu du cessez-le-feu négocié à Genève apparaissent comme une sortie de guerre plutôt que comme un nouveau « round ».

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Le 7 mai 1954 renvoie ainsi au 9 mars 1945, quand les forces japonaises, présentes en Indochine aux termes d’un accord avec le gouverneur-général Decoux, s’assurent de sa personne et renversent « manu militari » le pouvoir français en Indochine. Moins de six mois plus tard, la révolution d’août conduite par Ho Chi Minh et le Viêt-minh crée à son tour, dans une configuration nouvelle, une situation inédite. Entre temps, la Conférence de Postdam (juillet-août 1945) a mis les français hors-jeu en Indochine, demandant aux britanniques (au sud) et aux chinois (au nord) de venir y désarmer les japonais.

C’est en ce sens que l’Indochine était à reconquérir. Sur une durée plus longue encore, le 7 mai 1954 marque aussi la fin de la présence française en Indochine. Après la première défaite de Cao Bang, le Parisien Libéré du 21 octobre 1950 avait déjà tracé la perspective : en pleine page, il rappelait en six épisodes « ses heures de gloire et d’angoisse en Indochine ». D’abord 1873, quand « Francis Garnier est tué au siège de Hanoi par les Pavillons Noirs » ; ensuite l’événement de 1885, quand « la chute de Lang Son entraîne celle du ministre Jules Ferry ». Vient le moment de l’Union indochinoise : « à Hanoi, le pont Doumer et l’Institut Pasteur font que l’Indochine devient un pays moderne ». Puis la rupture 1945-1946 : d’abord « des officiers français sont tués par les japonais » ; puis la « révolte du Viêt-minh éclate dans le sang ». Enfin, et selon une formule bien étrange, « la révolte est maintenant devenue une guerre modern ».

Mais l’occupation française de l’Indochine, inaugurée le 1er septembre 1858 par la prise de Tourane (Da Nang), ne se relèvera pas, 96 ans plus tard, de la défaite de Diên Biên Phu.

Avant le 7 mai 1954, la France était une puissance asiatique, ce n’est plus le cas après. Elle avait déjà, perdu, dans le contexte de la Seconde Guerre Mondiale, ses concessions chinoises : Shanghai en particulier, dont le quartier français correspondait à presque tout le centre, ce qui faisait du grand port la plus grande ville française d’Asie ; le territoire à bail du Guang Zhouwan aussi, autour de « Fort Bayard », entre Hong Kong et la frontière vietnamienne. Un peu plus tard, en 1956, les comptoirs français de l’Inde, il est vrai eux-mêmes rescapés du grand empire du XVIIIème siècle, seront rendus à l’Inde indépendante.

La France n’avait pas su faire face au réveil de l’Asie, communiste ou non : celui du Japon d’abord, qui l’avait fait plier et n’avait pas découragé la révolution vietnamienne ; celui de la Chine ensuite qui, devenue communiste en 1949, aidait puissamment le Viêt-minh à obtenir la décision militaire ; celui du Viêtnam bien sûr enfin, qui imposait son existence à des français incrédules. C’est autant cette absence de perception du réveil de l’Asie que la fortune des armes qui a pesé sur l’histoire.

Hugues Tertrais.

Maître de conférence à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

le site de la bataille : ici

Mémorail des guerres en Indochine:ici

ANAPI :ici

Promotion E.S.M.  N° 140  “ Ceux de Diên Biên Phu ”   1953 - 1955:ici

chemins de memoire :ici

cinq colones a la une en 1964 dix ans après : la vidéo ici


PS : cet article est également en hommage à « tous les morts pour la France en Indochine ». Le président.


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