L'antimilitarisme a laissé la place à une idéalisation du métier de soldat doublée d'indifférence

L'armée est l'institution dans laquelle les jeunes Français ont le plus confiance.Ce résultat,inimaginable il y a vingt ans,est mis en lumière dans l'enquête publiée lundi 7novembre par des chercheurs du Centre de recherches politiques de Sciences Po(Cevipof), Ronald Hatto, Anne Muxel et Odette Tomescu. Cette étude a été réalisée avec l'Institut de recherche de l'école militaire (Irsem), auprès d'un panel de 993 lycéens et étudiants.

Ce travail témoigne du tournant induit par la suspension du service militaire en 1996: la fin de cette contrainte a laissé place à une image consensuelle et positive de l'armée. Ce «robuste capital de confiance » dont témoignent 85% des jeunes interrogés, va de pair avec un affaiblissement de l'antimilitarisme. Pour 90% des 15-23 ans de l'enquête, le métier des armes est une activité honorable. Pour 63%, l'armée reflète bien la société française.Les conclusions des chercheurs vont donc sonner doux à l'oreille des militaires,à l'heure de la baisse des budgets de défense, partout en Europe: « Les jeunes considèrent positivement l'importance d'une force militaire dotée en moyens conséquents pour le pays, écriventils.Quatre jeunes sur dix (42 %)jugent même qu'il faut plutôt renforcer l'armée, tandis qu'un sur deux (54%) pense qu'il faut plutôt la laisser telle quelle.»Dans une précédente enquête publiée par 1998 par Olivier Galland et Jean-Vincent Pfirsch, lesjeunes étaient déjà convaincus de l'utilitéde l'armée. Nouveauté, «la part des détracteurs et des réticents s'est réduite à une peau de chagrin:seuls 4% pensent qu'il faut la supprimer contre 22%» à la fin des années 1990. A l'époque, 34% jugeaient que «la situation dans le monde permettait à la France de réduire ses dépenses militaires. En2011, cette proportiona diminué de moitié (17%)». Desclivagesdemeurent: les jeunes de droite et les catholiques apportent le soutien le plus inconditionnel.

 

 

Mais le niveau de diplôme, lui, joue peu. Et «la jeunesse de gauche ne développe pas des représentations négatives de l'armée».Cette vision positive s'appuie sur des valeurs partagées. Sens du devoir et discipline rencontrent l'adhésion. Même la notion de sacrifice n'apparaît pas négative. Pour eux, un bon soldat est d'abord «courageux», il a «l'esprit d'équipe».«Les attributs plus étroitement associés à la pratique militaire (...) ne sont que peu présents dans les représentations des jeunes : "autoritaire", "sens du commandement","agressif", "soumis","endurance", sont très peu mentionnés », notent les chercheurs.Mais affection ne veut pas dire attention : ces représentationspositives ne s'accompagnent pas d'un surcroît d'intérêt. « Bonne image et relative distance expriment donc le rapport que les jeunes entretiennent vis-à-vis de l'armée », relèvent les auteurs.Ainsi,«les jeunes Français s'inscrivent dans ce que le sociologue américain Charles Moskos appelle l'ère des armées postmodernes » :la fin de la conscription et l'absence de menace de guerre «ont favorisé la montée en puissance d'un public indifférent à l'égard des armées».Tous ont entendu parler des besoins de recrutement de l'armée,tant elle communique pour séduire. «Pour recruter 18000 à 20 000 jeunes selon les années,nous devons en toucher dix fois plus, explique le général Benoît Royal, patron du recrutement de l'armée de terre. Ce qui veut dire la moitié des 380000 garçons d'une classe d'âge.»

Les jeunes n'ont qu'une vision floue des opérations militaires actuelles. Dans leurs représentations, l'armée doit d'abord «défendreet «protéger», avant de faire la guerre. Ses missions jugées les plus légitimes sont le rétablissement de la paix, les interventions humanitaires. Les garçons, énormes consommateurs de jeux de guerre, acquièrent une connaissance de l'institution par le truchement de leur console. Ce désintérêt conduit les auteurs à prendre avec précautionles très faibles scores d'adhésion aux opérations extérieures récentes ( 22% pour l'Afghanistan).«Une idéalisation des métiers de l'armée semble s'opérer »,constatent les chercheurs. Mais cette génération se distingue par son désir d'engagement: d'abord pour faire quelque chose pour son pays (37 %), puis pour travailler en équipe (30 %). Dans l'enquête de 1998, il s'agissait en priorité d'avoir un emploi stable, de ne pas être au chômage. «Ils veulent être utiles, donner du sens à leur vie, constate le général Royal. Ce sera le thème de notre prochaine campagne de recrutement.»  Nathalie Guibert source lemonde du 08/11

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