Une fête patriotique était donnée à la Sorbonne. Le colonel Picot, la tête encore emmaillotée, désirait s'y rendre.
Du Val-de-Grâce au boulevard Saint-Michel, il n'y avait qu'un pas et Picot, tout joyeux de cette cérémonie, se présenta au guichet. Là, un garde l'arrêta :
- Avez-vous, monsieur, une invitation ?
- Non, mais je suis mutilé de guerre, colonel en service, et actuellement au Val-de-Grâce.
- Impossible, monsieur, de vous laisser passer si vous n'avez pas une convocation.
- Mais, enfin... tout de même !
- Je vous demande pardon, monsieur.
A ce moment, Picot fut légèrement bousculé par un homme qui, sortant rapidement une vague carte de sa poche, dit entre ses dents : « Député ! » et passa, salué respectueusement par le garde.
Picot n'insiste pas, serre les poings, va sur la place de la Sorbonne, en fait le tour deux ou trois fois et s'aperçoit brusquement du départ du garde. Aussitôt, il bondit, passe le tourniquet, sort une vague carte de sa poche, comme le député, et comme lui grommelle : "gueule cassée". On s'efface, et Picot entre fièrement dans la place. C'est ce nom qui désignera désormais les blessés de la face...
Le terme gueules cassées était attribué aux survivants de la Première Guerre mondiale ayant subi une ou plusieurs blessures au combat et affectés par des séquelles physiques graves, notamment au niveau du visage. On peut également trouver en référence aux gueules cassées ces hommes psychologiquement profondément marqués par le conflit qui ne purent regagner complètement une vie civile ou qui durent, pour les cas les plus graves, être internés à vie.
A tous ceux qui comme l' écrit DANTE " ONT SOUFFERT MILLE DOULEURS ET MILLE MORTS "
Au retour de la guerre, le nombre total de morts s'élevait à 9 millions dont plus de 2 millions d'Allemands, 1,8 million de Russes, 750 000 Britanniques, 650 000 Italiens et presque 1,5 million de Français. Proportionnellement à sa démographie, la France est un des pays où les pertes ont été les plus importantes.
Ces morts n'étaient pas que des militaires tués sur les champs de bataille, ils étaient aussi des militaires revenus chez eux, gravement atteints par des maladies tel que la grippe espagnole, mais aussi des hommes ayant succombé aux séquelles de leur maladie. Ainsi, après la guerre, le nombre de soldats morts des suites de leurs blessures s'élève à environ 500 000 tandis que la grippe fit 200 000 morts supplémentaires en France.
On évalue de 11 à 14% la proportion des blessés atteints au visage au cours de la Grande Guerre et parmi eux on recense entre 10 000 et 15 000 « grands blessés » de la face. Ces chiffres témoignent de la brutalité nouvelle de la guerre et de la violence infligée au corps. Du fait de la modernisation du matériel et des techniques de combat, les blessures par éclats d'obus ou de grenade, ainsi que par balle propulsée à grande vitesse sont désormais plus destructrices et entraînent de bien plus vastes délabrements faciaux.
La prise en charge des blessés de la face fut lente à se mettre en place. Elle s'effectue dans des centres de chirurgie réparatrice de l'arrière, dans des conditions très éprouvantes pour le patient et pour des résultats souvent très décevants. À la longueur des traitements s'ajoute la multiplication des opérations dites « réparatrices » qui pour nombre d'entre elles n'en sont encore qu'au stade expérimental. Défiguré, le blessé se trouve également confronté à l'expérience du démantèlement de sa personnalité qui l'expose doublement au cours de sa rémission : dans la relation à soi source de crise identitaire et dans celle à autrui induisant un processus de désocialisation.(Au Mans Hopital temporaire N°7 400 lits dirigés par les docteurs Delagenière et Lebedinsky des 1915 )
La terrible détresse morale inhérente à la défiguration a contribué plus que tout à l'isolement de ce type de mutilé, au repli sur soi à l'intérieur des hôpitaux spécialisés où les blessés de la face ont vécu et privilégié en commun la reconnaissance de leur blessure. À l'instar des autres catégories de mutilés, celle des blessés de la face aura en 1922 son organisation spécifique qui se chargera de faire valoir les droits de ceux qu'on allait bientôt appeler les « gueules cassées ».
lien sur un site université paris V traitant du sujet : ici
Dans une salle de conférence au National Naval Medical Center de Bethesda, il bouge ses lèvres, et, comme il recherche le mot «Afghanistan», il glisse sa main sur le côté gauche de sa tête.....
«Merde, je ne me souviens pas, dit-il enfin.
Warren a du mal à se rappeler beaucoup de choses. Qui n'est pas surprenant, étant donné que des éclats d'obus ont déchirés son crâne après une attaque a Kandahar .Son camion a explosé avec une grenade propulsée par un lance fusée. Un éclat s'est immobilisé dans le centre du cerveau de Warren et il est trop dangereux à extraire.
«Je vais dire trois mots, puis vous me les dites à moi, ok?" dit Williamson, un neuropsychiatre qui dirige l'unité Bethesda lésion cérébrale traumatique. "Apple. Desk. Rainbow».
Warren n'hésite pas: "Apple bureau Rainbow..."
L’Union des gueules cassées
Même si l’Armistice fut signée le 11 novembre 1918, ce n’est que le 28 juin 1919 que fut organisé le traité de Versailles auquel Clemenceau convia 5 représentants des gueules cassées issus de l’hôpital Val de Grâce de Paris. Ils témoignaient de la violence et de la brutalité de la guerre.
Le mutilé se sentait exclu de par ses longs séjours qui le coupaient de ses activités d’auparavant dans les hôpitaux, luttant avec les procédés archaïques pour sauver son visage, source de pitié, de dégoût mais aussi des fois de sympathie de la part des autres individus. Bienaimé Jourdain et Albert Jugon, deux anciens blessés soignés à Val de Grâce fondèrent une association. La présidence est confiée au colonel Yves Picot (1862-1938) et la vice présidence à Jourdain. (Photos ; Jourdain sans et avec bandeau).
Et voici Jugon laissé sur le champ de bataille à moitié mort, ayant dit à ses compagnons que s’ils avaient le temps de le sauver après les autres soldats moins blessés que lui, alors ils pouvaient venir le rechercher. Il fit partie des 5 soldats assistant au Traité de Versailles.
Les difficultés financières du début des années 20 retardèrent la mise en œuvre du projet de construction d’une maison des défigurés de face. Ce n'est qu'en 1927 que les gueules cassées purent acquérir un domaine, grâce à une souscription ouverte à la fin de 1925. Inaugurée par le Président de la République Gaston Doumergue en 1927, la Maison des Gueules cassées était un château, situé à une quarantaine de kilomètres de Paris, dans le village de Moussy-le-Vieux, en Seine-et-Marne.
Elle accueillait les pensionnaires de manière définitive, pour les plus atteints d'entre eux, ou temporaire, pour les convalescents notamment.
Cependant, ces maisons ne symbolisent pas seulement la fraternité unissant les défigurés, mais aussi une sorte d’exclusion à l’intérieur de la société ; une non-intégration d'après guerre.
Cette association fut financée par la loterie nationale devenue depuis la francaise des jeux ..
Pour allez plus loin .
Sophie Delaporte : les gueules casses
Martin Monestier : les medecins de l impossible
Un site magnifique en anglais Project facade "faces of battle" les photos des differentes greffes sur visages et une expo sur uniformes, utilisez google translate si vous ne comprnez pas l anglais : ici
le site des gueules cassées : ici et le dernier bulletin a lire : ici
A lire sur le site :
Appel en faveur du "Foyer des gueules cassées" / par Georges Gelly,... -E. Jolibois (Bar-le-Duc)-1926
Le paradis des "Gueules cassées" / par Georges Gelly1926