1914-1918... la Grande Guerre. La population française est mobilisée dans son ensemble pour repousser l'ennemi allemand.
A l'est, ce sont les tranchées, le corps à corps, la faim, les pluies de sang, les assauts sans fin et les morts par milliers. Dans cette ambiance de survie permanente, les hommes, ces Français incorporés, se battent comme des lions au nom de la France et des valeurs patriotiques ancrées en eux.
Le sous-lieutenant Jean-Julien Marius CHAPELANT était de ces hommes. Engagé volontaire au 99ème RI le 4 juin 1909, il y est nommé caporal le 5 octobre 1909, puis sergent le 28 septembre 1910. Rengagé le 15 décembre 1911 au 98ème RI, il est chef de la 3e section de mitrailleuses lors du déclenchement de la première guerre mondiale, promu au feu au grade de sous-lieutenant à titre temporaire. Le 7 octobre 1914, après sept jours et sept nuits de combats et de bombardements ininterrompus autour de Beuvraignes dans la Somme, il est capturé par l'ennemi avec trois autres camarades. Grièvement blessé à une jambe par une balle allemande, il réussit cependant à s'échapper et à regagner les lignes françaises deux jours plus tard, dans un état d'épuisement facile à imaginer ...
Des mois et des années à avancer puis reculer, à s'élancer face à l'ennemi pour ne gagner que quelques mètres de terrain qui seront reperdus le lendemain... comment résister moralement ? Voir ses camarades s'effondrer, se faire déchiqueter par des pluies d'obus ou des rafales de mitrailleuse Maxim, en se posant toujours la même question « à quoi cela sert-il ? ».
Le poilu est prêt à mourir, mais pas sans raison ni bêtement ! Les atrocités journalières ne font qu'endurcir ces hommes... mais attaquer en sachant pertinemment que cela occasionnera des centaines de morts supplémentaires pour rien, le soldat ne l'accepte plus. Le terme « chair à canon » est né à cette période.
Les généraux de l'époque, issus des vieilles formations des écoles de guerre à savoir, marcher face à l'ennemi et gagner par le nombre, ne s'attardent pas à de telles considérations morales. Bien que l'armement ait considérablement évolué (de la poudre noire à la mitrailleuse !) ils persistent dans ces techniques d'un autre temps.
Le général NIVELLE (dit le Boucher) fut de ces hommes. Homme d'expérience décoré, combattant confirmé et stratège, il n'avait pourtant de cesse de faire massacrer ses hommes (350 000 !!!) dans des attaques foudroyantes surprises. Cela aurait pu payer mais c'était sans compter sur l'armement allemand et surtout les documents écrits par NIVELLE lui même, détaillant sa stratégie, qu'il oublia sur place en évacuant une tranchée. Expédié en décembre 1917 en Afrique du nord, il fut remplacé par PETAIN.
Pour ne plus retourner au front le soldat avait plusieurs solutions : tendre la main par-dessus la tranchée pour se faire mutiler par une balle et être rapatrié, déserter et retourner en douce chez soi pour s'y cacher ou encore, désobéir à un ordre... Dans tous ces cas, la cour martiale (ou conseil de guerre spécial) tranchait.
Devant la montée des grondements et des actes de rébellion, les hautes autorités militaires autorisèrent les exécutions sommaires « pour l'exemple » afin de maintenir l'ordre et la discipline (instaurées en 1870 suite à la débandade des soldats français, les cours martiales furent supprimées en 1917).
Avérés ou non, ces hommes furent fusillés pour l'exemple (nous ne parlons ici que des cas litigieux). Nombre de soldats, traumatisés par le feu de l'ennemi, les bombardements incessants et les horreurs perpétuelles, furent victimes du « black-out », errant en plein milieu des combats ou des champs, tels des zombis, sans plus savoir qui et où ils étaient. Accusés de désertion de poste, ils furent aussi exécutés. Certains officiers exécutèrent eux même des soldats pour X motifs, d'une balle en pleine tête, et inscrivaient « Mort pour la France » dans le cahier afin de ne pas avoir de compte à rendre.
Le SLT CHAPELANT, quant à lui, ne pouvait imaginer ce qui l'attendait, après avoir rampé des jours pour rejoindre ses lignes... son chef de corps, le fit traduire devant un « conseil de guerre spécial » qui le condamna à mort pour « capitulation en rase campagne ». Le 11 octobre 1914, Chapelant fut fusillé pour l'exemple dans la cour du château des Loges, attaché à son brancard dressé contre un pommier ! Il n'avait ni déserté, ni reculé... pris au piège, il s'est rendu !!!
Officiellement, 600 soldats français furent fusillés sur les 2400 qui furent jugés (un chat aussi fut fusillé pour connivence avec l'ennemi mais il n'entre pas dans ce chiffre !!!), le plus jeune ayant 17 ans. L'Italie en fusilla 750, le Royaume Uni 306, le Canada 25 et l'Amérique 11, l'Australie n'exécuta aucun soldat... les chiffres allemands et russes restent quant à eux litigieux et flous.
Il fallut attendre de nombreuses années pour que la France réhabilite ces « fusillés pour l'exemple » ou accèdent au statut de « mort pour la France » (CHAPELANT fut déclaré MPF en 2012. Avis n° 353-2012 du 8 novembre 2012)
Nombres de leçons furent tirés de ces évènements tragiques. La première est liée à la stratégie de bataille. Le monde avait évolué et les techniques de combat aussi, fini les massacres inutiles, les hommes jetés en pâture aux balles ennemies. L'aviation et l'artillerie devaient à présent être les protecteurs des troupes au sol. L'humain fut lui aussi pris en compte. Sans jamais accepter la rébellion ni la désertion dans les rangs et encore moins les exécutions sommaires, les tribunaux militaires devaient appliquer des peines définies. Les protections individuelles furent améliorées, les tenues plus adaptées, l'armement plus puissant et enfin, la gestion du traumatisme post conflictuel fut entendue et acceptée. Certes, tout cela prit des années et des années avant de se mettre en place, mais la volonté de préserver le militaire au maximum devint le maître mot.
Emmanuel MALENFANT.