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« En 1944, j'étais dans la cellule n° 6 avec Luis »

 

 

 

Arrêté par les Allemands suite à des « petits sabotages », Camille Houdbine a pu visiter la prison du Vert-Galant, aujourd'hui désaffectée, où il a été incarcéré en 1944, en compagnie d'un « héros espagnol », appelé Luis. | 

 

 

 

Il y a 70 ans, le Sarthois Camille Houdbine était arrêté et enfermé à la prison du Vert-Galant, par les Allemands. En visite dans le grand bâtiment désaffecté, il raconte ces jours à jamais gravés dans sa mémoire.

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Cet après-midi-là, il ne faisait pas très beau. À peine chaud. Un vrai « temps de saison » pour une fin de janvier 2014. Camille Houdbine a « attrapé quelque chose » la veille et n'est pas au meilleur de sa forme. « Je ne comprends pas. Je ne suis jamais malade » dit-il, entre son béret et son écharpe entortillée. « Mes enfants m'ont conseillé de rester chez moi mais le rendez-vous était pris. Je n'allais pas l'annuler. Ça ne se fait pas. Et puis, j'en ai vu d'autres ! »

Appuyé sur ses béquilles, le Sarthois de presque 90 printemps, est donc là, devant la porte de l'ancienne prison du Vert-Galant. C'est là qu'il se tenait, 70 ans plus tôt, quand, arrêté pour de « petits sabotages » par l'armée d'Occupation, il s'apprêtait à passer en cellule des jours à jamais gravés dans sa mémoire.

La porte métallique s'ouvre dans un grincement. Camille et son voisin Michel qui l'accompagne pénètrent dans la cour d'entrée de la Maison d'arrêt déserte. Les souvenirs remontent aussitôt. « C'est ça... dit Camille. Oui, c'est bien ça. Ce perron... C'est par là que j'ai sauté pour leur échapper. C'était pas si haut finalement. Surtout quand on a 19 ans ! Ce jour-là, j'avais été interrogé en dehors de la prison. Les deux soldats qui me ramenaient étaient très en confiance. Ils avaient leur fusil à l'épaule. Je les ai bousculés, j'ai sauté et j'ai filé en me mélangeant très vite à la foule du marché voisin. Après, j'ai gagné le Vieux-Mans. »

« Un infect cul-de-basse-fosse »

En remontant dans ses souvenirs, Camille, quasi aphone avant la visite, a retrouvé sa voix. « C'est incroyable... Je peux parler ! » Il grimpe l'escalier du perron, s'engage dans un couloir barré de grilles ouvertes qu'il n'a pas connues.

Puis, il apparaît en haut de l'escalier de pierre qui descend dans la cour des détenus. « C'est celui-là qu'ils m'ont fait descendre sur le dos ! » se souvient-il. « J'étais dans la cellule numéro 6 au fond de la cour, là-bas », dit-il avec précision en indiquant l'endroit de sa béquille.

Comme la plupart des autres cachots de la cour, le n° 6 est muré. Seule la cellule voisine est encore accessible. « C'était un vrai cul-de-basse-fosse, se souvient-il dans le sinistre réduit. Infecte ! J'y ai d'abord passé trois jours sans boire ni manger en essayant de récupérer des coups reçus. Pour tromper ma soif, il m'arrivait de lécher la serrure de la porte. »

« Luis, c'était un héros ! »

En 1942, Camille s'était engagé au 2e RIC (Régiment d'infanterie coloniale) où il a « fait partie des troupes qui ont essayé de résister aux Allemands quand ils ont envahi la « zone libre » ». Il avait finalement rejoint les républicains espagnols dans les Pyrénées-Orientales pour poursuivre le combat.

À la Libération, il rejoindra son régiment et se battra dans les Vosges, en Alsace puis en Allemagne. Mais, dans la cour déserte de la prison désaffectée où la nature commence à reprendre ses droits, Camille insiste : « Moi, j'ai pas fait grand-chose. Luis, lui, c'était un héros ! »

« Luis » (mais était-ce vraiment son nom ?) c'est l'homme ensanglanté que l'on jette dans la cellule n° 6 au troisième soir de la détention de Camille. « J'ai essayé de panser ses blessures avec mon mouchoir et un peu d'eau qu'un geôlier nous avait apportée. »

Luis et Camille sympathisent. D'abord méfiant, le guérillero espagnol se met à lui raconter son histoire, ses batailles... « De retour d'une confrontation, il m'a serré la main et m'a dit qu'« ils » le tueraient dans quelques jours et qu'il regrettait seulement de ne pouvoir continuer la lutte. »

Devant la cellule murée, Camille réentend les cris des séances de torture venus du « bout du couloir » qui n'existe plus aujourd'hui. « Après deux jours de répit, ils sont revenus chercher Luis. Ils l'ont sauvagement tiré de la cellule en tapant dessus. Quand ils l'ont ramené, il était nu. Son corps n'était plus qu'une plaie à vif. Il m'a murmuré un message à transmettre à ses amis en m'incitant à jouer la comédie avec les Allemands. »

Camille remonte les marches de la cour de la vieille prison. « Luis... La dernière fois que je l'ai vu, il venait de subir de nouvelles tortures. Son oeil pendait sur sa joue, il saignait des oreilles, de partout... Je te l'ai dit : ne parle pas de moi mais de Luis. Les types comme lui, il ne faut pas les oublier ! »

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 Source : Ouest France