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“Vous n’avez pas connu cette guerre invraisemblable, alors que pouvez-vous savoir du poids que nous avons porté, durant ces longues années, de 14 à 18 ? Un poids plus lourd que les obus les plus imposants ; plus lourd qu’un char d’assaut avec tout son blindage, son moteur éructant et ses deux hommes ; plus lourd encore qu’un cuirassé de marine aux canons aberrants. Si lourd, certains matins, que je me demandais par quel miracle mes coutures ne rompaient pas, et comment les muscles, les tendons, les vertèbres de mon compagnon d’infortune, eux non plus, ne cédaient pas.
 
 
D’une seconde à l’autre, sous la tension, je m’attendais au pire ; à un craquement ignoble, qui auraient vu la chute de mon porteur, ou bien mon cuir éventré et le contenu au sol, comme aimanté par la gravité de cette terre qui a dévoré tant d’hommes. Combien de fois me suis-je maudite, impossible de le dire, tant de temps a passé. Je me revois simplement
au pied de grandes maisons, dont les murs de granit donnaient à leurs habitants, pour quelques secondes encore, étirées à l’infini, l’illusion de la sécurité. Pauvres êtres.
 
Rien n’aurait pu les protéger. Pas même l’isolement d’une ferme ou la solitude d’un hameau. Plus lentement que la balle d’un fusil, mais autrement plus méthodique, je les retrouvais. La main du facteur soulevait mon cuir tanné et fouillait mes entrailles pour en extirper une lettre que chacun, dans la pièce immobile, regardait soudain comme une grenade au mécanisme hésitant. Puis des doigts tremblants décachetaient la lettre et là, aux larmes de joie ou aux sanglots, je découvrais avec soulagement ou horreur la vraie nature de ce que j’avais apporté. Et en repartant, trop rarement allégée
malgré le courrier en moins, ce n’était pas les cahots du chemin qui m’infligeaient cette douleur sourde. C’était de savoir qu’après mon passage, pour cette épouse ou pour ce père, pour ce grand-oncle ou pour ce fils, la lumière du soleil, à travers les fenêtres insouciantes, semblerait tout à coup une insulte ; le rire le plus innocent, une gifle ; c’était de savoir que le monde entier, comme sous l’effet d’une lèpre fulgurante, aurait perdu pour eux toute sa beauté.
 
Tel était mon fardeau. Trop lourd, bien trop lourd, oui. Pour un malheureux facteur comme pour une simple besace.”
 
Sacoche de Jules, facteur à Saint-Renan, 1914.
Chaque objet a une histoire.
 

Dans les jours qui suivent la déclaration de guerre, 4 millions de Français rejoignent leur affectation, parmi lesquels, à cette date, 18.961 postiers.

L'importance du service postal est immédiatement considéré par les généraux comme un élément essentiel pour le moral des troupes... Et à la différence du conflit de 1870, les mobilisés sont instruits. L'école de Jules Ferry est passées par là. Le circuit de distribution du courrier - complexe - est vite dépassé, comme en témoigne du courrier avec, par exemple, une griffe explicite: "Le destinataire n'a pu être atteint en temps utile". Il doit être réformé. Ce que raconte Laurent Albaret, qui décrit l'action d'Alphonse Marty, un inspecteur général des PTT, à l'origine de la réorganisation de la poste aux armées dès la fin de 1914, en particulier "la création des secteurs postaux afin de faciliter et d'accélérer la transmission de la correspondance et des paquets destinés aux troupes en opération".

L'enjeu est de taille: "Fin octobre, c'était un demi-million de lettres et près de 40.000 paquets qui arrivaient quotidiennement aux soldats mobilisés".

Laurent Albaret étudie "la collaboration des postes civiles et militaires" nécessaire à l'acheminement, en avril 1915, de plus de 4,5 millions de lettres ordinaires  et de cartes postales, de 320.000 paquets, 70.000 journaux et 15.000 mandats-cartes par jour sur le front. 

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