Préambule du président: veuillez trouver ci-après un article rédigé par notre ami Yves CADIOU, qui vient en "complément" de l'article paru sous le titre "Lettre de l'ASAF 2010/09".

Nous avons tous entendu dire, avec effet de manches et coup de menton viril de l’orateur sûr de lui, que  « le budget des Armées est et restera le deuxième budget de l’Etat ». Ce n’est ni vrai ni faux, c’est de la langue de bois. C’est vrai sur des documents comptables partiels mais c’est faux en réalité. Les Armées sont loin d’être le deuxième budget le plus lourd pour le contribuable.

Le problème est celui des « financements croisés » dont Philippe Séguin, président de la Cour des Comptes, a plusieurs fois évoqué les inconvénients. Personne n’a écouté ses demandes de clarification.

Ce qui suit est un peu long, mais traduire "la langue de bois en langage clair" n’est pas immédiat.

La comparaison des budgets des différents ministères est difficile, parce qu’il y a des additions et des soustractions qui ne sont pas faites.

Les budgets de tous les ministères civils sont en grande partie pris en charge par d’autres caisses que celle de l’Etat (caisses cependant alimentées par de l’argent public) alors qu’au contraire le budget des Armées est inscrit uniquement au budget de l’Etat.

Prenons deux exemples, l’Intérieur et l’Education Nationale, mais en sachant que ces deux exemples de financement s’appliquent à tous les autres ministères.

Pour le ministère de l’Intérieur, rappelons d’abord que la construction des Commissariats et des Gendarmeries est financée par leur Commune d’implantation et n’apparaît pas au budget d’investissement du Minint.

Le ministère de l’Intérieur est aussi exonéré d’une charge autrement plus lourde : le budget des Pompiers. En France deux cent cinquante mille pompiers civils et leur matériel (matériel coûteux parce que soumis à des spécifications exigeantes) sont financés par les communes, les intercommunalités et les départements : les SDIS (Services Départementaux d’Incendie et de Secours) sont des établissements publics qui imposent leur budget aux collectivités locales sur la base des directives du ministère de l’Intérieur en application de lois successives dont la plus récente est la loi n°96-369 du 3 mai 1996.

Le budget des pompiers civils passe inaperçu au niveau de l’Etat parce qu’il est «dilué » entre une centaine de services départementaux obligatoirement financés par les collectivités locales. Le budget total des SDIS n’a fait, à ma connaissance, l’objet d’aucune étude ni même d’une simple addition. De ce fait il est impossible de comparer entre eux les budgets «Intérieur » et « Armées ».

Il en est de même pour un autre service public important : sans même rappeler qu’une petite partie de l’Education Nationale est privée, il faut savoir que l’infrastructure nécessaire à l’enseignement public est entièrement prise en charge par les collectivités locales : le Communes financent toutes les écoles primaires ; les collèges sont pris en charge par les Départements ; l’enseignement technique par les Chambres Consulaires ; les universités et les lycées sont financés par les Régions.

Il en est ainsi de tous les ministères civils : le ministère des transports ne finance pas les routes départementales (prises en charge par les Départements), ni les autoroutes prises en charge par des SEMA (Sociétés d’Economie Mixte Autoroutières), ni les réseaux ferrés régionaux (les TER sont financés par les Régions), ni les ports ni les aéroports qui sont financés par les Chambres de Commerce.

Ministère de la Santé : les hôpitaux, financés par les Villes et par la Sécu, n'apparaissent que très discrètement au budget de l'Etat.

Quant à la dette publique, celle de l’Etat est considérable mais pour le contribuable il faut ajouter les dettes cumulées des collectivités territoriales et des établissements publics, qui sont toutes et tous endetté(e)s.

C'est le même contribuable qui paye des impôts à la fois pour sa Ville, pour son Intercommunalité, pour son Département, pour sa Région. Seul le budget des Armées est directement lisible parce qu'il est entièrement inscrit au budget de l'Etat.

Je ne dis pas que le système est condamnable, je dis qu'il faut le connaître et peut-être y apporter des correctifs. En dépit de quelques imperfections, tout ceci en définitive ne fonctionne pas trop mal : il faut juger aux résultats et non aux méthodes.

Avant de dire « deuxième budget », il faut comparer seulement ce qui est comparable.

Ajoutons ici que le budget des Armées supporte des charges indues qui ne sont pas comptabilisées ni remboursées. Les militaires ne demandent jamais le remboursement des prestations effectuées au profit d'autres ministères (j’aimerais être démenti) : Vigipirate, mission civile qui consiste à renforcer la Police, devrait être remboursée par le ministère de l'Intérieur ; ainsi que la lutte contre l’orpaillage clandestin en Guyane ; ainsi que les interventions de protection civile ; les dépenses supportées par les Armées au profit des ministères civils, Affaires étrangères, Dom-tom, Coopération, Minint, font un lourd total qui n’est pas visible dans les documents comptables. Lorsqu'on apprend que les Armées envoient en Haïti un bataillon du Génie transporté par la Marine Nationale, on aimerait apprendre aussi que le financement est pris en charge par le Ministère de la Coopération. Aider Haïti est parfaitement légitime compte tenu de nos liens culturels et historiques : le Ministère français de la Coopération est fondé à y missionner l'une de nos entreprises de travaux publics civiles qui ne demandent qu'à travailler, acheminée par un transporteur civil dont c'est le métier. Mais non, l'on préfère en charger les Armées. C’est non seulement coûteux mais c’est aussi contraire à la loi de 2005, article 1er : la mission des Armées est de " préparer et assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation". Par la force des armes. Le financement de l'aide pour Haïti (cette aide est légitime, j'y insiste : seul  le mode de financement est contestable) est ainsi supporté par le budget des Armées et non par celui de la Coopération à qui elle incombe.

Pour plus de lisibilité dans la dépense publique, et donc pour une meilleure information du citoyen-contribuable, il y a une solution comptable simple : lorsque les ministères présentent leurs comptes après clôture de l’exercice budgétaire, mentionner toutes les dépenses exposées par d’autres dans le domaine d’action de chaque ministère. Par exemple mentionner le total financier des SDIS pour le ministère de l’Intérieur, mentionner le total des dépenses des hôpitaux pour le ministère de la Santé, etc, je ne reprends pas les exemples que j’ai déjà cités.

Bien entendu la spécificité politique de la défense implique que l'effort consentit par la nation reste visible. Mais il faut la même visibilité dans les budgets civils pour en finir avec cette fausse vérité « les Armées deuxième budget de l’Etat » qui conduit très vite à la fausse conclusion « les Armées coûtent (trop) cher ».

Lorsque l’on entend dire que le budget des Armées est « le deuxième budget de l’Etat », il faut rectifier : certes il l’est au regard des comptes de l’Etat, mais il est loin d’être le deuxième budget des services publics ni le deuxième budget le plus lourd pour le contribuable.

Yves Cadiou

Publié sur internet :

Le 13 mars 2010 http://www.egeablog.net/dotclear/index.php?post/2010/03/10/Financement-par-Y.-Cadiou

Le 16 mars 2010 http://www.saint-cyr.org/forum/viewtopic.php?t=505

Le 4 septembre 2010 http://www.armees.com/La-defense-deuxieme-buget-de-l-Etat-un-leurre,33632.html