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N'oubliez  Pas Ceux  qui sont tombés

Honorer ceux qui servent et leurs familles

et

 Enseigner à nos enfants la valeur de la liberté


 

Malgré la montée des doutes dans l'opinion sur le bien-fondé de cette guerre lointaine, le lien très fort qui unit la nation à son armée transcende la société américaine. Une façon, peut-être, d'expier le phénomène d'abandon dont furent victimes les vétérans du Vietnam il y a trente-cinq ans.

Il faut être allé se recueillir sur les tombes de la section 60 du cimetière militaire d'Arlington pour comprendre que l'Amérique est en guerre depuis bientôt dix ans.

Il faut avoir marché entre ces quelque 600 tombes d'un blanc immaculé, à l'ombre desquelles dorment une partie des soldats tombés en Irak et en Afghanistan ces dernières années, pour prendre conscience de l'importance du prix payé par la nation américaine dans ces deux guerres lointaines, où elle a déjà perdu plus de 5 300 hommes. Il faut avoir été présent ce jeudi matin 8 octobre par exemple, à 9 h 30 précises, pour l'enterrement du sergent-chef Nekl B. Allen, tué en septembre dans une embuscade tendue par les insurgés talibans, dans la province afghane de Wardak, à l'âge de 29 ans...Ce jour-là, malgré le soleil étincelant qui étend ses rayons sur le paysage, une brise pénétrante fait frissonner les participants tandis que le cortège d'honneur du 3e régiment d'infanterie apparaît au milieu des grandes pelouses semées de tombes.

Contrairement à la majorité des familles, qui préfèrent enterrer leur fils dans leur ville, le clan Allen a choisi le cimetière militaire national d'Arlington, un choix donné par le département de la Défense. Une petite quarantaine de parents et de proches se sont massés autour de la tombe fraîche pour accueillir le cercueil porté par des soldats en grand uniforme. Au premier rang, il y a la veuve de Nekl, Amy, ses trois enfants, Christopher (10 ans), Michael (7 ans) et Grace (5ans), ainsi que les parents du défunt.

Des amis motards du mort appartenant à l'Association de vétérans Bulldog ont fait cortège sur leurs Harleyrutilantes. Lentement, les soldats de la garde d'honneur déplient le drapeau dans lequel ils vont envelopper le cercueil de Nekl et en offrent d'autres, soigneusement pliés, à sa femme, à ses parents et à chacun des enfants. Trois salves sont tirées en l'honneur du défunt. Le clairon entonne la prière aux morts. «C'est un bel adieu que nous faisons à nos soldats n'est-ce pas ?» dit la jeune attachée de presse du cimetière d'Arlington, Kaylin Horst, chargée d'escorter les journalistes. Les larmes lui montent aux yeux en observant les trois enfants qui s'accrochent à leur mère.

 

George Bush cachait les soldats morts

Craignant une démoralisation de la société et une remise en question de l'engagement en Irak, le président George W. Bush avait interdit la couverture par les journalistes du rapatriement par avion des corps des soldats morts au combat, ainsi que celle des enterrements, reprenant une règle édictée par son père, George H. W. Bush pendant la première guerre du Golfe. Mais cette interdiction a été levée par Barack Obama, permettant à la presse d'être présente sur les lieux, sous condition de l'accord des familles. Le président américain s'est lui-même rendu le 29 octobre, en pleine nuit, sur la base militaire de Dover (Delaware), pour y assister à l'arrivée des corps de 18 soldats tombés en Afghanistan. Il leur a rendu hommage, ne cachant pas que le «fardeau supporté par nos soldats et leurs familles» pèserait sur sa «manière de voir ces conflits». Alors qu'il vient d'annoncer au pays la stratégie qu'il entend mener sur le théâtre afghan, le président a maintes fois salué «ces hommes prêts à s'engager pour une cause plus grande qu'eux-mêmes». Le 11 novembre, jour des Vétérans, il se rendait lui aussi au cimetière d'Arlington pour rendre hommage au «sacrifice du sang versé», appelant à ne pas «abandonner les vétérans une fois qu'ils ont retiré leur uniforme». Bref, à gérer, sur l'arrière, les lourdes conséquences de la guerre. Les morts. Les amputés. Les troubles mentaux et les séquelles psychologiques que tant de soldats ramènent du combat. Les problèmes d'emploi liés à la reconversion des vétérans.

Camps de vacances et DVD

«Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous admettrons qu'il y a eu des moments où nous avons trahi cette confiance sacrée en tant que nation», a dit Obama le 11 novembre. La guerre d'Afghanistan a beau gagner en impopularité, tout le monde aux États-Unis semble aujourd'hui à l'unisson de ce mea culpa présidentiel pour la stigmatisation dont l'armée a été victime à l'époque du Vietnam. La journaliste Linda Feldman parle d'une forme de «culpabilité collective» qui traverse les structures de l'État et la société. Résultat, le département de la Défense, le secrétariat aux Vétérans et une multitude d'organisations parallèles, semi-publiques ou carrément privées, contribuent activement à faciliter la vie des familles militaires pendant que les soldats sont au front, puis la reconversion ou la réadaptation des combattants au retour. Une riche famille juive de New York, la famille Fischer, a dépensé des dizaines de millions de dollars pour financer la construction de maisons destinées à accueillir les épouses et enfants de soldats blessés, pendant qu'ils reçoivent des soins à l'hôpital. Des connexions Internet quasi quotidiennes permettent de relier les militaires isolés au milieu du désert irakien ou des montagnes afghanes à leurs enfants. Des DVD destinés à aider psychologiquement les enfants de militaires soumis à de longues périodes de séparation ont été édités par le ministère de la Défense, avec la participation de «Sesame Street», un show télévisé. Des camps de vacances sont organisés pour permettre aux adolescents de communiquer sur leurs difficultés. «À l'époque du Vietnam, compare le sociologue militaire David Segal, enseignant à l'université du Maryland, personne ne se préoccupait de ce genre de chose. Les militaires étaient souvent abandonnés à leur sort, quand ils rentraient du front.» Ne voulant plus d'une guerre qui puisait dans les forces vives d'une armée de conscription, la société avait rejeté pêle-mêle soldats et politiques.

Aujourd'hui, cet antimilitarisme n'est plus de mise, la société américaine ne faisant «plus d'équation entre la question de la légitimité de la guerre menée et le travail que fait l'armée sur le terrain», constate Segal. Professeur à l'université de la Défense à Washington, l'ancien officier Joe Collins estime que cette volonté de racheter les erreurs du passé est d'autant plus présente que le lien entre l'armée et la nation a toujours été fort. «Nous sommes une société patriotique, les années 1970 ont été une parenthèse», explique-t-il. L'armée reste l'une des institutions à laquelle les Américains font le plus confiance, loin devant le Congrès ou la Cour suprême. «Le caractère vibrant de cette relation me rend même un peu jaloux», reconnaissait récemment un militaire français.

Ce n'est pas Larry Allen Draughn qui démentira. Caporal de lanciers dans le corps des marines, ce jeune sous-officier au regard droit et clair a perdu ses deux jambes, au mois de mai, dans le Sud afghan, en sautant sur une mine artisanale alors qu'il patrouillait. Pendant l'heure d'interview qu'il nous accorde à l'hôpital Walter Reed, qui prend en charge une grande part des blessés d'Afghanistan et d'Irak, ce jeune marine de 22 ans ne s'appesantit pas sur les circonstances de sa blessure, se contentant d'évoquer le bruit assourdissant qui a suivi l'explosion, «comme si j'étais à l'intérieur d'une cloche d'église», puis la vision qu'il a eue «de ses jambes et ses doigts gisant à côté de (lui)».

Le Pentagone «insensible»

Il évoque en revanche longuement la «fierté et la joie» qu'il a éprouvées quand il est rentré dans sa bourgade natale d'Antioch, dans l'Ohio, après ses amputations. La foule de plusieurs milliers de personnes, massée tout au long de la route de l'aéroport avec des drapeaux. Les pancartes de bienvenue, les fleurs, les interviews à la télévision locale. Tout cela juste pour lui. «Cela a été un grand moment», sourit-il. Il raconte les vétérans du Vietnam lui confiant leur joie d'assister à cette mobilisation populaire, «à laquelle eux n'avaient pas eu droit». Les gens qui déboulent régulièrement à l'hôpital pour l'inviter au restaurant. «Cela me fait mal de penser qu'il a fallu le 11 Septembre pour que les gens comprennent que la liberté a un prix, comme les jambes de Larry, par exemple. Mais c'est ce qui s'est passé», dit Kaytlin, sa femme, 23 ans, qui rêvait d'être militaire mais a renoncé pour soutenir son mari. Larry affirme qu'il a aussi la chance d'être épaulé par l'institution militaire, qui l'aide à réfléchir à l'avenir en lui fournissant des propositions de stages dans plusieurs grandes agences fédérales. «J'ai un contact à la Nasa qui me paraît intéressant», dit-il, enthousiaste, sans exclure cependant de «rester dans les marines».

À l'hôpital des vétérans de Washington, Charles Eggleston, ex-officier des forces spéciales blessé trois fois en Irak et en Afghanistan, donne une vision plus amère de son expérience du retour au pays. Il a fait partie de ce groupe de blessés de guerre dont les mauvaises conditions de vie à l'hôpital militaire Walter Reed ont suscité un gigantesque scandale il y a deux ans. Louant le travail des médecins, Charles dénonce en revanche une administration de la Défense «insensible» aux problèmes des soldats. Il évoque les séquelles psychologiques et la vague de suicides qui sévit dans les rangs de l'armée. Il dit qu'il a lui-même eu des pensées suicidaires, tant il se sentait abandonné. C'est la mobilisation «de ma femme et de quelques sénateurs, dont un certain Barack Obama», qui a permis d'améliorer les choses, affirme Eggleston, qui parle d'un système encore «imparfait».

Ce lien nation-armée est d'autant plus remarquable que l'institution militaire est devenue un monde plus lointain, avec l'abandon de la conscription en 1973 et l'avènement d'une armée professionnelle après la guerre du Vietnam. Malgré la pression qui monte des rangs du Parti démocrate, il devrait donner à Barack Obama une marge de manœuvre réelle pour convaincre ses compatriotes de faire confiance à son armée et d'accepter de soutenir la suite de la campagne d'Afghanistan.

source

Laure Mandeville pour le figaro