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L'idée d'étudier le TTA 107 a germé il y a quelques années lorsque je me suis aperçu que l'armée de terre avait réglementé les chants de ses soldats au cours des années 1980. La question est alors venue d'elle-même : "pourquoi ?"

Les armées ont toujours accordé une considérable importance à la musique et aux chansons. Ces dernières sont au coeur de la vie des unités, chaque année en voit sortir de nouvelles et la marine vient même de se doter d'un hymne officiel. Actuellement étudiant en master II de musicologie à la Sorbonne, Thomas-Just Jolivet est aussi officier de réserve, praticien du chant choral et membre de la 69e promotion de l'IHEDN jeunes. Il vient de publier un mémoire, dont des extraits devraient être prochainement mis en ligne, sur le manuel officiel de chants de l'armée de terre. Il nous a accordé une interview, sur ce thème généralement peu étudié, malgré son importance au quotidien dans la vie des soldats, qu'ils se trouvent dans leur unité ou en opérations extérieures.

Thomas-Just Jolivet : Ceci est dû au mélange peu commun entre mes passions pour le chant et l'histoire militaire. L'idée d'étudier le TTA 107 a germé il y a quelques années lorsque je me suis aperçu que l'armée de terre avait réglementé les chants de ses soldats au cours des années 1980. La question est alors venue d'elle-même : "pourquoi ?"

Vous rappelez que, dans une circulaire de 1988, l'état-major de l'armée de terre demande que les chants ne soient pas "exécutés avec la dernière syllabe de chaque vers tronquée, par effet de mode. Tous ces usages devaient (et doivent encore) être proscrits à l'avenir, sous peine de sanctions." Vingt-trois ans plus tard, cette pratique est pourtant courante. Qu'en pensez-vous ?

Cette mode, bien que peu musicale, est sûrement appréciée grâce aux sonorités dures et guerrières obtenues par ce biais. La première recommandation contre cette manière de chanter a été donnée par le capitaine Selosse dès 1970. Les habitudes ont quelquefois la peau dure !

Le TTA 107 compte de nombreux chants d'origine étrangère, 20 % de ses titres étant d'origine allemande. Pourquoi ?

Le répertoire choral militaire français est issu de différents brassages culturels, ayant eu lieu à toutes les époques. Les chants d'origine allemande sont largement représentés, car au cours des derniers 150 ans, les guerres et les différentes occupations, qu'elles soient de l'un ou de l'autre côté du Rhin, ont permis une perméabilisation du corpus. La culture allemande laissant une grande part à la musique a donc imprégné nos différents carnets de chants. Il ne faut cependant pas oublier que l'on retrouve aussi dans le TTA 107 des chants d'origine polonaise, italienne, américaine...

Les deux compagnons est écrit sur l'air de Als die goldene Abendsonne et les chants Contre les Viets et Fier soldat partagent l'air de Die dunkle Nacht ist nun vorbei. Leurs paroles sont certes "dénazifiées", mais ces chants demeurent très marqués, parmi d'autres... Vous invitez d'ailleurs l'état-major à "clarifier sa position" sur cette question.

L'état-major a eu, lors des années 1980, une position franche contre les chants connotés historiquement et politiquement, comme en témoigne une circulaire du général Maurice Schmitt datée de 1987. Quelques chants d'origine allemande composés bien avant le IIIe Reich voient ainsi leurs airs proscrits, alors que leurs paroles étaient parfaitement innocentes, alors que d'autres, comme ceux que vous citez, ont pu passer au travers des mailles du filet du fait d'une mauvaise connaissance de leurs origines. Il faudrait donc que l'Emat règle ce problème par une éventuelle prochaine mouture du TTA 107.

En quoi le TTA 107 diffère-t-il des carnets de chants d'unités ?

Pour reprendre les mots du général Delaunay, "le TTA 107 est le seul répertoire officiel de l'armée de terre". Les autres carnets de chants en circulation dans les régiments n'ont aucune existence officielle. Leur contenu, même s'il épouse parfaitement les traditions de l'unité, est donc tenu sous la responsabilité des chefs de corps.

Et qu'en est-il des chants paillards comptant parmi les plus chantés ?

Les "chants de popote" ne sont pas concernés par le TTA 107, car ils sont réservés à une pratique particulière, dans le cadre des repas de cohésion. Ces repas sont les seuls moments où le soldat peut chanter des chants aux paroles quelquefois scabreuses, et auxquels seules les personnes initiées ont le droit de participer.

Les conquêtes coloniales sont encore très présentes dans le répertoire militaire, officiel ou officieux. Comment peut-on à la fois conserver une forme de tradition et ne pas tomber dans l'insipide politiquement correct ?

L'histoire coloniale fait partie de l'histoire de France. Les chants traitant de cette époque relatent des scènes de vie quotidienne, les joies, les peurs du soldat en poste loin de sa terre natale. Les passer sous silence serait pour moi une forme de négationnisme de notre patrimoine historique et culturel.

Les chansons que chantent ensemble les soldats marquent les époques les ayant vues apparaître. Qu'en est-il de la période contemporaine ? De nouvelles chansons rejoignent-elles le répertoire ?

Tout à fait. Chaque école voit par exemple ses différentes promotions se doter d'un chant qui leur est propre. Il en est de même pour chaque unité, ceci comme symbole d'appartenance à un corps spécifique. De nouvelles mélodies sont créées régulièrement, les soldats pouvant toutefois reprendre des airs anciens sur lesquels ils adaptent de nouveaux textes. L'ethnomusicologue Adeline Poussin (conseillère scientifique de l'exposition "Sur un air militaire", NDLR) précise que chaque traumatisme vécu par l'armée a engendré de nouveaux chants, et l'on peut déjà trouver plusieurs créations récentes relatant l'expérience afghane.

source le point

site TDM musique