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Le soldat, dernier rempart de la société ?

Le général (2S) Bernard Messana interpelle le politique et le citoyen sur ce thème à travers une démonstration hardie  servie par une plume agile et acérée.

Un constat clair

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Il y a d'abord eu, chez nous, ce choc des élections cantonales quand, affichant ainsi leur rejet du système politique, 56% des Français se sont abstenus de voter. Etait-ce là une surprise ? Pas vraiment. Tous les analystes nous affirmaient déjà que 60% du corps électoral ne votait plus ou s'était réfugié dans le vote dit protestataire, extrémiste de droite ou de gauche, ou vert insoluble.

On pouvait donc partager les 40% restant en une forte minorité,- un peu moins de 20% -, et une faible majorité,- un peu plus de 20% -, et comprendre ainsi pourquoi le parti dominant avait systématiquement face à lui 80% de mécontents.

Alors, si la démocratie est bien cette forme de gouvernance où le pouvoir appartient au peuple, force est de constater que nous n'en sommes plus là. Dans notre régime actuel, le pouvoir appartient à une classe restreinte, aux couleurs d'un des deux « grands » partis. L'autre « grand » attend son tour en promettant de défaire, ce que l' « un » prétend avoir fait, et environ 60% des citoyens, exclus de ce duel stérile, remâchent une frustration qui, peu à peu, devient colère.

« Ami, entends-tu... ».

Et puis, à la mi-mai, - ces mois de mai sont redoutables !-, il y a eu le mouvement espagnol des « indignados ». Ceux-là répètent inlassablement que le régime politique censé les gouverner, morne et incompétente alternance d'une droite et d'une gauche s'asseyant à tour de rôle à la table du banquet, et s'empiffrant en hâte, ne les représente plus.

Les « indignados » aspirent à être entendus...Ils font ailleurs des émules, en France, en Grèce. N'est-ce pas d'ailleurs de France qu'est venu le slogan, « indignez-vous ! »...

 

 

Il y avait eu aussi, plus au Sud, en Tunisie, la « révolution du jasmin » qui s'est étendue à d'autres Etats du monde arabe. Nos penseurs ont exulté. Enthousiastes, ils y ont vu le triomphe de « nos » valeurs démocratiques qui témoignaient ainsi de leur universalité. Mais les faits sont vite venus corriger ces pompeuses actions de grâce. Plus prosaïquement, ces peuples arabes se révoltaient contre des pouvoirs dictatoriaux et corrompus, et demandaient un ordre juste. Lassés d'un pouvoir qui ne voulait pas les entendre, ils l'ont chassé...

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Mais il est vrai que des Forces armées à la neutralité bienveillante, colonne vertébrale du Pays, ont laissé les choses s'accomplir. N'est-ce pas aussi de France qu'était venu le mot clé de cette révolution, « Dégage ! » ?

Et puis chez nous, il vient d'y avoir, presque simultanément, trois faits marquants : alors qu'en Afghanistan, le décompte de nos soldats morts pour la France s'alourdissait, des agriculteurs confrontés à la sécheresse ont réclamé que les militaires participent au transport de leur fourrage. Et le maire de Sevran a demandé, lui, que l'Armée s'installe en permanence dans sa ville, s'interposant, en mission de paix,- « surtout pas la guerre ! », précise- t-il - entre les gangs qui ravagent sa cité.

« Ami, entends-tu...».

Après avoir lu les paragraphes précédents, le lecteur averti sourit et hausse les épaules : « Cousus de fil blanc, ces constats sortis de leurs contextes, et malignement rapprochés ! À quelles conclusions m'invite-t-on ?

Un pouvoir despotique et non représentatif court le risque d'être renversé si son « ultima ratio », l'Armée, préfère la neutralité au loyalisme ? Alors, hommes politiques, n'hésitez pas à choyer grandement votre Armée ! Surtout quand une sorte de « besoin d'Armée » semble faire frémir la Nation !

Trop facile !»

Et si cette fois c'était facile ?

Et si la vérité était vraiment cousue de fil blanc !

Et si lassés de ces flots d'informations tortueuses qui nous incitent à voir partout manœuvres et complots, manipulations et instrumentalisations, nous décidions de voir les choses comme elles sont ?

L'Armée et le soldat demeurent

Oui, le constat du rejet du politique n'est pas une illusion. Une très large majorité nationale ne s'estime pas représentée dans sa diversité, et le peuple n'est pas en harmonie avec ses dirigeants. La majorité dite silencieuse gueule.

Lassés d'une alternance stérile, révulsés par des cohabitations paralysantes, les citoyens ressentent l'exercice du pouvoir par une majorité minoritaire comme un détournement de la démocratie. Des élus d'opposition n'hésitent pas à prôner la désobéissance civile et l'agitation civique. Ils promettent de défaire, lors d'un prochain retour au pouvoir, ce que l'injuste majorité a fait.

Et des minorités agitées, relayées sur le « net » par des citoyens complices ou abusés, allument des incendies et soufflent sur les braises. Tout y est prétexte, religion, immigration, mœurs, sécurité, économie... Tous les rouages de la société sont touchés, justice, police, éducation, clergé...

Tous sauf l'Armée.

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Elle avance, muette, - ce mutisme est même pour elle un « devoir républicain » nous dit le Ministre -. Elle avance, mais ne sait plus vers quoi. Se dépouillant pas à pas d'effectifs et de moyens décrétés exagérément budgétivores par de faux experts, mais vrais technocrates, elle rétrécit, et se délite, en silence.

Mais si le soldat ne s'exprime pas, puisqu'il n'en aurait pas le droit, il pense. Et ceux qui ont quitté le service actif et recouvré ainsi une notable liberté de parole se sont alors mis à dire ce qu'ils pensaient autrefois, sous l'uniforme : « Bienfaisante discipline, combien nous te devons de chants de liberté ! ».

Ils pensaient que servir les armes de la France était un honneur, et que c'est dans l'honneur qu'ils devaient servir. D'autant plus que leur temps était encore le temps de la conscription, et qu'ils étaient donc en charge de la jeunesse de la Nation.

C'était là une mission exaltante, d'instruction certes, mais aussi d'éducation. Ne fallait-il pas souvent rattraper les défaillances de la famille ou de l'Education nationale ?

Ne fallait-il pas apprendre à ces jeunes à vivre ensemble, apprendre le respect de l'autre, découvrir la violence, savoir la maîtriser ? Ne fallait-il pas leur enseigner l'amour de la Patrie, le respect de nos couleurs, le sens du mot « servir », et l'obéissance, et la vertu des règlements ?

Vint alors la suppression du Service national, inattendue, irréfléchie, démagogique. Et les « grands frères » de nos banlieues, et les caïds des quartiers devinrent les nouveaux instructeurs et formateurs de la jeunesse, avec le succès que l'on sait.

Désormais professionnelle, notre Armée aurait pu devenir ce « machin » sans âme qui sévit dans certains pays européens, vaines cohortes de « fonctionnaires » syndiqués en uniformes, jouant de par le monde un rôle de gardiens d'une paix dérisoire et fragile, illustrant le plus souvent les hésitations, les renoncements, et la lâcheté des politiques.

Notre Armée n'est pas devenue ce « machin » car elle a une âme, conscience à la fois d'une « grandeur » héritée d'un passé glorieux qui lui impose de ne pas faillir, et de « servitudes », toutes librement consenties, envers un Etat qui sert la France. Voilà pourquoi l'Armée est astreinte à la neutralité. Et voilà pourquoi l'Armée sert l'Etat dès lors qu'elle a conscience que l'Etat sert la France. Toute la France, non une coterie.

L'honneur de parler vrai

Et voilà pourquoi l'Armée ne doit plus être muette. Le mutisme était indispensable au temps de la conscription, où l'Armée enseignait la défense de la France, jusqu'au sacrifice, aux conscrits. L'Armée était la Nation en armes, et le silence régnait dans les rangs.

L'Armée professionnelle n'est plus la Nation en armes. La Nation la méconnaît et l'ignore, le politique la dédaigne. Elle n'est plus que l'instrument armé de la défense de la France et de ses intérêts, et sa mission, si le combat s'engage, est de vaincre. A elle de définir les tactiques, et d'en exiger les moyens.

Voilà pourquoi le vrai « devoir républicain » n'est pas de se taire, car ce mutisme ne signifie pas l'adhésion, mais la résignation. Le soldat, à son rang, et en fonction de ses missions a désormais un devoir d'expression. Il doit s'exprimer, dirait un syndicaliste, pour défendre le service public dont il est en charge.

Son honneur n'est donc pas de faire au mieux avec ce qu'on lui consent. Son honneur est le « parler vrai » et l'exigence. Car il est conscient de devenir peu à peu, dans la société désarticulée qui l'environne, le dernier recours.

Hors de nos frontières, lorsqu'il meurt pour la France, il n'est pas au service d'une politique étrangère, il est LA politique étrangère.

A l'intérieur de nos frontières, quand on réclame sa présence dans nos banlieues, il n'est pas au service de la Sécurité publique, il est LA Sécurité publique.

Et il sait aussi ramasser le mazout et la paille. L'Armée deviendrait-elle ainsi la colonne vertébrale de notre société ?

Ce qui est certain, nous disent les experts, c'est que « ce monde est dangereux ». Et l'Europe, et la France, appartiennent à ce monde dangereux. Les pays qui baissent aujourd'hui la garde auront besoin, demain, de mercenaires. Ils devront peut-être accepter que des armées étrangères viennent, sur leur sol, protéger leurs ressortissants,- ne le faisons-nous pas, nous mêmes, sur le sol africain ?-. Ils seront confrontés aux troubles sociaux anarchiques que la mondialisation, ayant organisé « la guerre économique de tous contre tous » (E. Todd), ne manquera pas de provoquer.

Ils devront affronter les populismes virulents qui bourgeonnent partout en Europe et conduisent inéluctablement à la violence et aux confrontations armées. Et, hors de leurs frontières, encore et toujours défendre leurs intérêts et leurs ressortissants, participer aux missions internationales...

Dans son introduction, le dernier Livre blanc sur la Défense et la Sécurité affirmait que nous étions entrés dans « un monde qui n'est pas nécessairement plus dangereux, mais certainement plus imprévisible, plus instable, plus contradictoire que celui qui se dessinait en 1994 ». Au terme de quatre années d'expérience, force est de reconnaître que ce monde est effectivement devenu plus imprévisible, et plus instable, et plus contradictoire.

Et c'est pourquoi il est aussi devenu plus dangereux.

Et c'est pourquoi il convient de réarmer.

« Tous les arts que l'on ordonne dans une cité pour le bien commun des hommes,toutes les institutions qu'on y fonde pour faire régner la crainte de Dieu et des lois, ne serviraient de rien si on ne créait aussi des armes pour les défendre, lesquelles, si elles sont bien réglées, puissent sauver ces institutions, même plus ou moins déréglées » écrivait jadis Machiavel.

« Ami, l'entends-tu... »