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Général Didier Tauzin : "Il faut établir la vérité sur le Rwanda. Nous sommes traités comme des Waffen SS !"

Interview Jean Guisnel

Le Point.fr : Vous publiez à votre tour, après votre chef d'alors, le général Jean-Claude Lafourcade, un livre sur votre expérience au Rwanda. Que voulez-vous expliquer à vos lecteurs ?


Général Didier Tauzin : Je précise d'abord que le général Lafourcade n'a été mon chef que lors de l'opération Turquoise. Pour ma part, j'ai eu à traiter de la guerre du Rwanda de manière quotidienne de l'été 1992 à l'été 1994, comme chef de corps du 1er RPIMa. Dans ce livre, je donne d'abord le témoignage de ce que j'ai fait et vu, mais aussi fait faire à mes paras au Rwanda pendant les deux années de mon commandement du régiment. Je traite en particulier de l'opération Birunga, improprement appelée "Chimère", que j'ai commandée en février et mars 1993, ce qui n'avait encore jamais été fait. J'explique également la stratégie de conquête du Rwanda par Kagamé et ses soutiens. Je n'omets pas le soutien que lui a apporté l'association française Survie qui, depuis 1989, désinforme l'opinion française et travaille activement contre la France et son armée, en participant à la rédaction du rapport Mucyo, publié à l'été 2008 par Kigali, rapport qui n'est qu'un tissu de calomnies. Cette association tente de nouveau, ces jours-ci, de mobiliser des élus en prétendant mettre au jour des crimes qui auraient été, selon elle, commis par la France et son armée. Or, les responsabilités françaises dans cette affaire sont imaginaires, ce dont j'apporte la preuve. 

Votre première expérience contre le FPR (Front patriotique rwandais) et les troupes de son chef Paul Kagamé remonte à l'opération Birunga de 1993. Quelles conclusions en avez-vous tirées ?


 

En février 1993, Kagamé déclenche une offensive générale sur un front d'environ 250 kilomètres en profitant de la tenue d'élections législatives en France. L'armée rwandaise est en déroute, Kigali menacé, les expatriés commencent à quitter le pays. Avec 69 hommes, en une semaine, je rétablis la situation qui était totalement désespérée. Mis en place le 21 février, je suis de retour à Bayonne début avril. Mais en France, les élections législatives changent la donne. Pierre Bérégovoy cède la place à Édouard Balladur. Nous avons immédiatement senti, sur le terrain, le changement de la politique française à l'égard du Rwanda, changement qui m'a conduit à annuler, contre mon gré, une contre-offensive dont je reste persuadé qu'elle aurait renvoyé le FPR d'où il venait : l'Ouganda.

Malgré cela, l'essentiel de la mission que j'avais reçue était réalisé, le FPR arrêté, Kigali sauvé, et nous avions donné aux politiques du temps pour travailler à une solution. Donc c'est un vrai succès militaire. Mais ce temps que nous leur avons donné, les politiques l'ont gâché ! Car le désengagement politique et militaire de la France a été si radical et si rapide que ce succès militaire n'a finalement donné au Rwanda qu'un sursis d'un an, et je reste persuadé que, si nous avions pu poursuivre quelques jours à peine notre contre-offensive, une situation tout autre serait apparue dans laquelle le génocide avait infiniment peu de chances de se produire.

Cette absence de cohérence et de continuité dans la politique française au Rwanda est sans doute la principale cause indirecte des massacres d'environ six millions de personnes. Je m'élève contre cette politique à courte vue.

Le 6 avril 1994, l'avion du président rwandais, le Hutu Habyarimana est abattu par un missile. Le génocide des Tutsis commence. Plus de deux mois et demi plus tard, vous revenez au Rwanda avec l'opération Turquoise, avec pour mission de "mettre fin aux massacres". Estimez-vous l'avoir remplie ?

Bien sûr ! Je relève avec émotion, sur Internet, les témoignages de Rwandais réagissant à mon livre. L'un d'eux, par exemple, écrit que la France et son armée, lors de Turquoise, ont sauvé deux millions de personnes menacées par les massacres et s'élève contre les mauvais procès qui nous sont intentés. Il relève aussi un fait majeur : seule la France, aidée de quelques maigres contingents africains, est intervenue pour faire cesser les massacres.

Par contre, je veux dire que cette opération Turquoise était bien trop tardive. Dès que j'ai connu la mort du président Habyarimana, c'est-à-dire le 6 avril vers 20 heures, j'avais placé le 1er RPIMa en alerte pour une opération que je pensais devoir être déclenchée dans la nuit même. J'estimais en effet que la situation ne pouvait que dégénérer, ce qui n'a pas manqué de se produire, car les massacres ont commencé dès le lendemain et que le président Mitterrand ne pouvait pas l'accepter. Mais nous ne sommes partis que deux mois et demi plus tard ; les massacres étaient pratiquement terminés, et Kagamé finissait de conquérir le Rwanda.

J'ai personnellement très mal vécu de rester "l'arme au pied", alors que se déroulaient les massacres et que s'écroulait un pays que nous avions tenu à bout de bras pendant quatre ans en prenant des risques parfois énormes. Si la France a commis une faute dans cette guerre du Rwanda, c'est bien à ce moment-là, en s'abstenant d'intervenir dès le 7 avril pour arrêter les massacres. Mais elle n'est pas la plus coupable, et de beaucoup ! Plus coupables, tous les pays qui ont tout fait pour empêcher la France d'intervenir ! Plus coupables surtout, ceux qui ont exécuté, commandité, organisé et planifié ces massacres, bien sûr ! Mais il reste à les désigner précisément, car, contrairement à ce qui est répété à l'infini, les vrais coupables ne sont pas désignés, comme le confirment les travaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda qui, à ce jour, a relaxé tous les Hutus présentés comme les cerveaux du génocide.

Vous demeurez aujourd'hui accusé par la justice de Kigali d'avoir participé au génocide rwandais. Estimez-vous avoir été suffisamment défendu par les autorités françaises contre cette accusation infamante ?

Seules quelques voix se sont élevées pour affirmer que nous avions rempli notre mission avec honneur et s'élever contre une réécriture de l'histoire au détriment de la France. Je rends hommage à Messieurs Juppé et Védrine, mais ils n'ont pas été vraiment entendus. Surtout, les très graves calomnies proférées contre le président Mitterrand, contre des ministres, des ambassadeurs et contre une quinzaine d'officiers généraux et d'officiers supérieurs auraient dû provoquer la réaction du président de la République, chef suprême des armées. Cette réaction, Jean-David Levitte nous avait assuré qu'elle devait être faite avant le 7 novembre 2008 ; nous l'attendons encore aujourd'hui ! Et pendant ce temps, les calomniateurs réécrivent l'histoire de la guerre du Rwanda. Je ne peux pas me résoudre à ce que les enfants de France apprennent, contre toute vérité et toute justice, que leur pays a participé au Rwanda à un génocide que certains s'ingénient à comparer à la Shoah. Car c'est cela qui est aujourd'hui écrit !

 

Que reprochez-vous aux autorités françaises ?

La politique française au Rwanda a été marquée par la légèreté, l'incohérence et le manque de continuité. Aujourd'hui, je m'adresse à nos élus, en particulier au président de la République, pour leur demander de faire établir la vérité sur ce qui s'est passé au Rwanda et de faire rendre justice à la France, traitée par certains comme si elle avait été l'Allemagne nazie, et à ses soldats traités par les mêmes comme des Waffen SS.

Le gouvernement français a renoué des relations d'État à État avec le Rwanda. Que pensez-vous de cette situation, et du fait que vous n'avez pas été lavé des accusations pesant contre vous ?

Il fallait bien sûr un jour rétablir les relations avec le Rwanda. Mais cela a été fait dans des circonstances déshonorantes pour la France. Lorsque le juge Bruguière a émis des mandats d'arrêt internationaux contre des personnalités rwandaises très proches de Kagamé, ce dernier a rompu les relations avec la France.

Sans même s'indigner publiquement contre l'infamant rapport Mucyo, Paris a entamé les démarches pour le rétablissement des relations diplomatiques, qui a été décidé le 29 novembre 2009.

Ce faisant, le président de la République a infligé un camouflet au juge Bruguière et à la justice française ; mais il a aussi fait très peu de cas de la réputation et de l'honneur de la France et des soldats dont il est le chef suprême. Pour la petite histoire, j'ajouterai que, le jour où était annoncé le rétablissement des relations diplomatiques franco-rwandaises, étaient aussi annoncées l'admission du Rwanda au Commonwealth et sa décision d'adopter l'anglais au détriment de la langue française ! Nous n'avons décidément plus aucune fierté nationale...

operation turquoise : ECPAD