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Les forces spéciales ne peuvent pas se substituer aux forces classiques

 

 

 

 

Certains blogs se sont faits récemment l'écho d'un renforcement significatif de nos forces spéciales (FS) par un transfert d'effectifs et de capacités de l'armée de terre ou de l'armée de l'air au profit du commandement des opérations spéciales (COS).

C'est bien évidemment méconnaître la nature des missions des FS. Il faut plusieurs années de formation, d'entraînement et de mise en place d'équipements spécifiques, après un changement radical du profil de la ressource humaine, pour transformer une unité classique et son armée d'origine, terre, air ou mer, en une unité spéciale.

 

 

En fait, contraintes budgétaires obligent et avec la confusion entretenue par les "experts" sur la réalité des missions des FS, ressurgit une fois de plus l'idée qu'une augmentation significative de ces FS permettrait de réduire les effectifs des forces dites classiques.

 

Aujourd'hui, le COS peut compter sur une composante FS interarmées de près de 3 600 hommes soutenue par les trois armées. Cela peut paraître très limité par rapport au 65 000 hommes des Etats-Unis. Mais c'est d'abord oublier que les FS américaines sont une quatrième armée avec tout son environnement, et que les unités du même type que les nôtres représentent en réalité moins de 15 000 hommes. Le ratio de nos FS par rapport aux effectifs de notre armée est donc sensiblement identique à celui des Américains, comme aussi celui du Royaume-Uni.

 

 

 

C'est aussi ignorer que les modes d'action et les équipements des FS ne les destinent en aucun cas à accomplir les missions conventionnelles dévolues aux forces classiques : pas de blindés, pas d'artillerie, pas d'avions de combat, pas de navires, pas de capacités d'occupation prolongée.

 

C'est enfin et surtout évacuer tout ce qui a présidé à leur création il y a vingt ans : un outil à haute valeur ajoutée pour gérer les crises ou faire la guerre autrement, de façon autonome ou en complément des forces classiques, souvent en amont et parfois à coté de ces dernières.

 

Dans ce cadre, elles ont su, comme lors de leur engagement majeur resté confidentiel en Afghanistan en 2003 pendant près d'une année, remplir avec succès et une grande discrétion de multiples missions sur terre, sur mer et dans les airs. Elles ont certes parfois, à leur corps défendant, mais dans une communication voulue par les autorités politiques pour marquer la détermination de la France, fait la "une" des médias.

 

Leur format réduit et interarmées a facilité leur adaptation permanente aux nouvelles menaces ou missions. En effet, les FS s'inscrivent résolument dans des stratégies de créneaux, à l'inverse des forces armées classiques.

 

Modes d'action et modalités d'engagement diffèrent profondément, et ce serait une erreur grossière que d'imaginer pouvoir substituer les unes aux autres à seule fin de justifier les réductions budgétaires à venir, de réduire drastiquement les effectifs et de réorienter massivement les crédits vers les industries de haute technologie. Ce fut la doctrine du secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, au début des années 2000, malheureusement avec les piètres résultats que l'on sait obtenus en Irak où il a bien fallu se décider à contrôler le terrain.

 

Si la crise européenne actuelle ouvre sur un système fédéral combinant à la fois une politique monétaire et une politique budgétaire, le temps sera aussi venu de repenser l'Europe de la défense au sein d'une fédération dont les membres restent sans doute à compter pour ne pas commettre à nouveau l'erreur d'aller trop vite.

 

L'arme nucléaire, des forces classique crédibles et des capacités de projection constituent une partie de la dot que la France pourra apporter dans la corbeille de la mariée.

 

Henri Poncet, officier général en 2e section, commandant les opérations spéciales de 2001 à 2004

LE MONDE | 16.07.2012

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